Le cinéma
belge trop souvent se REPOSE ou se DÉCOMPOSE
dans une exaspérante SINISTROSE, mais lorsqu'il OSE, c'est à
fortes DOSES !
Une fois
encore, c'est avec une grande nudité des sentiments qu'un film belge
se voit dépeindre une frange emblématique de son « terroir »
d'autochtones. Et pourtant, malgré son culot et son intempérance,
il n'en conserve pas moins un voile de pudeur qui nous empêche de
détourner le regard et, plus encore, qui nous amène à éplucher
les personnages dans leur quotidien tout aussi plat que volcanique.
En quelques
mots, l'histoire est celle de Marbie, vieille fille qui, la
quarantaine passée, vit toujours chez sa mère dans un village au
nom improbable et rêve de devenir une chanteuse célèbre (en
insistant sur le « célèbre »). Caricaturalement
maladroite, elle est incapable de conserver un emploi et accuse des
attitudes de gamine midinette capricieuse qui, par ses moues et ses
intonations de voix, ne va pas sans évoquer (dans une parodie
monstrueuse) Brigitte Bardot à sa grande époque. On dénombre
d'ailleurs plusieurs allusions directes à B.B., et pour cause :
d'entrée de jeu, Marbie nous offre son interprétation
insupportablement nulle de Harley Davidson
dans le cadre d'un karaoké minable qui produit la même impression
d'embarras et de malaise que j'ai pu éprouver en découvrant le
travail de Shelby Lee Adams sur la population de sa région natale,
plantée en plein cœur de « l'Amérique profonde »
absolue et extrême. Ici, bienvenue dans la « Belgique
profonde », microcosme tiraillé entre une vétusté
idéologique ringarde et une modernité mal assumée et donc engagée
avec balourdise, où s'entrecroisent autant de personnages qui
semblent évoluer dans un monde en suspens, où l'on s'avère
ultra-pieux le dimanche matin, alors que l'on tombe en pâmoison
devant le nom et l'affiche de « Johnny » le reste de la
semaine.
Le ton du
film alterne entre comédie et drame, truffant la bouffonnerie de
cette fausse et affligeante ascension vers la gloire, d'épisodes
douloureux et poignants qui soulignent qu'« au pays de Barbie »
les jours ne sont pas toujours roses, mais que le vernis peut
dissimuler un ongle cassé et que les « Ken » sont à
double tranchant. Ainsi, on apprend que Marbie, enfant, a été
abusée sexuellement par son père ; ou encore on découvre une
maman atteinte d'une maladie grave et dont les enfants vont être
placés en famille d'accueil ; enfin on assiste à une scène
particulièrement dure où Marbie se fait laminer on stage
lors d'un spectacle uniquement voué à la tourner en ridicule, et
qui nous fait souffrir pour elle, au cours de quatre minutes qui nous
paraissent interminables. On a tantôt le cœur qui bat, tantôt
l’œil humide, on se surprend à retenir sa respiration alors que
l'instant d'avant on riait d'une scène à la drôlerie pour le moins
truculente. Comme on passe de Couillu à Cannes, on saute du rire aux
larmes.
Pour toutes
ces raisons, ce film s'avère attachant, même si ses gags et
situations sont parfois lourds et prévisibles. Il reflète, de par
son langage et ses rebondissements, la condition modeste de
personnages dont les ambitions pharaoniques se heurtent à des moyens
misérables, bien que le cœur y soit à mille pour cent. Cependant,
si l'on ne peut s'empêcher de pouffer par moments tant l'odyssée
décrite est loufoque, ce n'est pas de la moquerie, mais davantage de
la compassion et de l'affection pour ces quidams aux plus grands
rêves et aux plus grands désespoirs, aux plus grandes audaces et
aux plus grandes blessures.
Il se dégage
de cette palette de faciès une noble humanité, que la fin du film
confirme par une scène traduisant avec émotion l'amour dissimulé
derrière une apparente rudesse. Le conte défaitiste se transforme
alors en conte de fées. Tout est bien qui finit bien, dans la
naïveté de l'espoir et la nudité des sentiments.
Si l'acting
est majoritairement assuré par des acteurs amateurs (des gens « du
cru », ce qui donne au film une grande spontanéité et une
grande authenticité, même si par moments le jeu manque de justesse
et de finesse), on note toutefois la performance de Patrick Ridremont
dans le rôle d'un présentateur de télévision cynique et véreux ;
celle, bouleversante de sincérité et d'une tendresse contenue, de
Claudine Mahy ; celle, très touchante, de Fernand Dubois ;
celle de Johnny Cadillac dans un rôle ambigu, mi « bad guy »
mi « prince charmant », pour lequel, en fin de course, on
compatit ; et surtout celle de Michel Angély, le plus sobre des
personnages du film, et de fait le plus lucide et le plus raisonné
des intervenants, dans le rôle d'un infirmier amoureux de Marbie et
soucieux de lui épargner les travers de l'échec public et les
humiliations cuisantes dans le monde impitoyable du show-business.
Notez aussi,
au passage, une très bonne direction photo assurée par l'excellent
Tiago Mesquita, qui parvient à conjurer le misérabilisme ambiant et
à auréoler ces décors tristes et creux de Couillu, d'une féerie
qui ne va pas sans rappeler celle produite par la colorimétrie dans
« Ma vie en rose » d'Alain Berliner.
Un film
comme seule la Belgique pouvait en concevoir, avec fierté et
modestie, avec tendresse et folie, entre hyper-réalisme et absurde
complet. Mi-dentelle, mi-bulldozer, il nous agace autant avec ses
clichés suraccentués qu'il nous étonne par sa candeur et son
caractère frondeur. Sans être un chef d’œuvre, il fait partie de
ces films qui se démarquent parce qu'ils donnent l'impression de ne
ressembler à aucun autre. Assurément, il existe une identité
belge, et c'est dans ces ovnis qui jaillissent occasionnellement dans
les salles qu'elle se manifeste de manière plus prononcée.
Alors, bon
film !
Daphnis
Olivier Boelens, 5 juin 2015
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