Daph Nobody

Daph Nobody
un homme, un regard sur l'homme

vendredi 5 juin 2015

« Marbie, star de Couillu les 2 Églises » n'est pas un conte défaitiste... par Daphnis Boelens (juin 2015)




Le cinéma belge trop souvent se REPOSE ou se DÉCOMPOSE dans une exaspérante SINISTROSE, mais lorsqu'il OSE, c'est à fortes DOSES !

Une fois encore, c'est avec une grande nudité des sentiments qu'un film belge se voit dépeindre une frange emblématique de son « terroir » d'autochtones. Et pourtant, malgré son culot et son intempérance, il n'en conserve pas moins un voile de pudeur qui nous empêche de détourner le regard et, plus encore, qui nous amène à éplucher les personnages dans leur quotidien tout aussi plat que volcanique.

En quelques mots, l'histoire est celle de Marbie, vieille fille qui, la quarantaine passée, vit toujours chez sa mère dans un village au nom improbable et rêve de devenir une chanteuse célèbre (en insistant sur le « célèbre »). Caricaturalement maladroite, elle est incapable de conserver un emploi et accuse des attitudes de gamine midinette capricieuse qui, par ses moues et ses intonations de voix, ne va pas sans évoquer (dans une parodie monstrueuse) Brigitte Bardot à sa grande époque. On dénombre d'ailleurs plusieurs allusions directes à B.B., et pour cause : d'entrée de jeu, Marbie nous offre son interprétation insupportablement nulle de Harley Davidson dans le cadre d'un karaoké minable qui produit la même impression d'embarras et de malaise que j'ai pu éprouver en découvrant le travail de Shelby Lee Adams sur la population de sa région natale, plantée en plein cœur de « l'Amérique profonde » absolue et extrême. Ici, bienvenue dans la « Belgique profonde », microcosme tiraillé entre une vétusté idéologique ringarde et une modernité mal assumée et donc engagée avec balourdise, où s'entrecroisent autant de personnages qui semblent évoluer dans un monde en suspens, où l'on s'avère ultra-pieux le dimanche matin, alors que l'on tombe en pâmoison devant le nom et l'affiche de « Johnny » le reste de la semaine.

Le ton du film alterne entre comédie et drame, truffant la bouffonnerie de cette fausse et affligeante ascension vers la gloire, d'épisodes douloureux et poignants qui soulignent qu'« au pays de Barbie » les jours ne sont pas toujours roses, mais que le vernis peut dissimuler un ongle cassé et que les « Ken » sont à double tranchant. Ainsi, on apprend que Marbie, enfant, a été abusée sexuellement par son père ; ou encore on découvre une maman atteinte d'une maladie grave et dont les enfants vont être placés en famille d'accueil ; enfin on assiste à une scène particulièrement dure où Marbie se fait laminer on stage lors d'un spectacle uniquement voué à la tourner en ridicule, et qui nous fait souffrir pour elle, au cours de quatre minutes qui nous paraissent interminables. On a tantôt le cœur qui bat, tantôt l’œil humide, on se surprend à retenir sa respiration alors que l'instant d'avant on riait d'une scène à la drôlerie pour le moins truculente. Comme on passe de Couillu à Cannes, on saute du rire aux larmes.

Pour toutes ces raisons, ce film s'avère attachant, même si ses gags et situations sont parfois lourds et prévisibles. Il reflète, de par son langage et ses rebondissements, la condition modeste de personnages dont les ambitions pharaoniques se heurtent à des moyens misérables, bien que le cœur y soit à mille pour cent. Cependant, si l'on ne peut s'empêcher de pouffer par moments tant l'odyssée décrite est loufoque, ce n'est pas de la moquerie, mais davantage de la compassion et de l'affection pour ces quidams aux plus grands rêves et aux plus grands désespoirs, aux plus grandes audaces et aux plus grandes blessures.

Il se dégage de cette palette de faciès une noble humanité, que la fin du film confirme par une scène traduisant avec émotion l'amour dissimulé derrière une apparente rudesse. Le conte défaitiste se transforme alors en conte de fées. Tout est bien qui finit bien, dans la naïveté de l'espoir et la nudité des sentiments.

Si l'acting est majoritairement assuré par des acteurs amateurs (des gens « du cru », ce qui donne au film une grande spontanéité et une grande authenticité, même si par moments le jeu manque de justesse et de finesse), on note toutefois la performance de Patrick Ridremont dans le rôle d'un présentateur de télévision cynique et véreux ; celle, bouleversante de sincérité et d'une tendresse contenue, de Claudine Mahy ; celle, très touchante, de Fernand Dubois ; celle de Johnny Cadillac dans un rôle ambigu, mi « bad guy » mi « prince charmant », pour lequel, en fin de course, on compatit ; et surtout celle de Michel Angély, le plus sobre des personnages du film, et de fait le plus lucide et le plus raisonné des intervenants, dans le rôle d'un infirmier amoureux de Marbie et soucieux de lui épargner les travers de l'échec public et les humiliations cuisantes dans le monde impitoyable du show-business.

Notez aussi, au passage, une très bonne direction photo assurée par l'excellent Tiago Mesquita, qui parvient à conjurer le misérabilisme ambiant et à auréoler ces décors tristes et creux de Couillu, d'une féerie qui ne va pas sans rappeler celle produite par la colorimétrie dans « Ma vie en rose » d'Alain Berliner.

Un film comme seule la Belgique pouvait en concevoir, avec fierté et modestie, avec tendresse et folie, entre hyper-réalisme et absurde complet. Mi-dentelle, mi-bulldozer, il nous agace autant avec ses clichés suraccentués qu'il nous étonne par sa candeur et son caractère frondeur. Sans être un chef d’œuvre, il fait partie de ces films qui se démarquent parce qu'ils donnent l'impression de ne ressembler à aucun autre. Assurément, il existe une identité belge, et c'est dans ces ovnis qui jaillissent occasionnellement dans les salles qu'elle se manifeste de manière plus prononcée.

Alors, bon film !

Daphnis Olivier Boelens, 5 juin 2015