Daph Nobody

Daph Nobody
un homme, un regard sur l'homme

jeudi 10 mai 2012

COUP DE COEUR THÉÂTRE : MADAME LA MINISTRE


« MADAME LA MINISTRE »
mise en scène de Frédéric Gibilaro
avec Bambina Liberatore, Magali Genicq, Sylvie Suzor, Romain Barbieux
scénographie : Serge Helholc
Création Lumière : Laeticia Rasschaert
Costumes : Hélène Mahillon et Elodie Pulinckx

Un spectacle à voir ABSOLUMENT en ce moment à l’XL-Théâtre (Théâtre du Grand-Midi), mis en scène par un Frédéric Gibilaro au meilleur de sa forme. À partir d’un texte relativement complexe qui, tel un roman de Duras que l’on aurait adapté pour la scène ou pour le cinéma, gagnerait à être lu sur papier pour en saisir toutes les subtilités, Frédéric Gibilaro réussit à créer une mise en scène dynamique, colorée, fraîche et dénuée de temps morts. C’est non sans une bonne dose d’humour haut-de-forme que nous nous voyons embarqués dans un véritable ballet de manigances où le non-dit s’arrose à grands coups de rhum et de pirouettes moldaves.

La scénographie, par ses confections en patchwork (un patchwork qui se retrouve jusque sur les verres et bouteilles accessoirisés), reflète parfaitement le rassemblement de personnages hétéroclites qui défilent sur scène. Mention spéciale pour ce décor très économe mais conçu intelligemment, qui épouse l’extravagance pittoresque des personnages tout en restant dans la sobriété. C’est sans doute cela aussi, la grande réussite de ce spectacle : parler d’excès sans tomber dans l’excès. De même, traiter de thèmes sérieux en les confondant par une malice qui pétille comme un champagne de ses innombrables bulles. L’insertion de génériques de célèbres séries télévisées des années 80, de manière tout à fait anachronique, tend à farcir la fiction de fiction, comme en un set de poupées russes, où chaque porte s’ouvre sur une nouvelle porte.

À ce propos, les portes, ici en tissu (choix judicieux), ne se ferment ni ne s’ouvrent jamais vraiment, ne retiennent aucune incursion extérieure, ni ne donnent accès au for intérieur des personnages, mais traduisent lucidement le proverbe qui affirme que « les murs ont des oreilles », et ce dans un climat de cabale où l’on écoute davantage aux portes qu’on ne prête une oreille attentive à son interlocuteur de visu. Jeu de tromperies et de dissimulations.

Dans un rythme ininterrompu, les règlements de comptes succèdent aux méditations ironiques, de sorte qu’on ne décroche jamais de la pièce, en dépit du texte parfois ardu. Mais au-delà de toutes ces qualités, ce qui porte cette pièce, ce sont plus que jamais les comédiens. Ils sont quatre : trois femmes et un homme. Romain Barbieux, élégant et inquiétant, qui en jette par son regard gorgé d’une ironie sombrement délicieuse. Bambina Liberatore, endossant une noblesse dévoyée (pléonasme ?) qui tantôt se galvanise tantôt s’ébrèche. Magali Genicq qui habite physiquement la scène avec brio, dont le corps valse et papillonne, et dont la verve nous capture tel un lasso. Enfin, et non des moindres, la phénoménale Sylvie Suzor, dont le naturel se joue de la caricature de la servante niaise, pour façonner, au contraire, le portrait d’une soubrette au parfum exquis d’opportunisme piquant. En bref, un quatuor digne d’un palais royal où les chambres de bonnes ont autant d’importance que les boudoirs satinés.

Notons aussi le beau travail sur les costumes, qui vient parfaire l’ensemble. Tout est juste, tout est pensé jusque dans ses moindres coutures, et on jouit du spectacle de bout en bout.

En résumé, une très très belle réussite à tous les niveaux pour cette pièce inédite, qui a certainement de beaux jours devant elle. Gageons que très bientôt, Madame la Ministre partira en tournée électorale.

Daphnis Boelens, écrivain-scénariste... et, hic et nunc, spectateur comblé ! (9 mai 2012)

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