Daph Nobody

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un homme, un regard sur l'homme

mardi 15 avril 2014

SAMANTA BORZI - DU TEMPS DES VEINES A CELUI DE LA VEINE (une chronique de Daphnis Olivier Boelens, avril 2014) + INTERVIEW


Je suis très heureux de vous présenter ma chronique pour le livre de Samanta Borzi, intitulé : « La drogue dans mes veines Mes enfants dans la peau ». Cette chronique, pour tant de raisons, me tenait particulièrement à cœur. Voilà un mois que je la tissais dans ma tête jour et nuit avant de la mettre sur papier, et comme pour chaque chronique d'autobiographie, j'en ai fait une affaire personnelle. Je l'ai écrite avec le cœur, avec les larmes, avec intériorité. Il m'est difficile d'analyser un tel texte sans me catapulter dans la peau de la protagoniste, qui nous livre non seulement le compte-rendu d'une bataille, mais nous propose aussi des clefs salvatrices pour sortir d'une prison dont les barreaux sont nos propres os. Je ne remercierai jamais assez des personnes comme Samanta Borzi pour partager avec nous de tels récits, qui impliquent une telle mise à nu et une telle confession de maux terriblement intimes. Ce récit ne fut pas sans me rappeler celui de "Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée" paru dans les années 70, et qui m'avait marqué dans mon adolescence.


Samanta Borzi - témoignage publié



SAMANTA BORZI :

Du temps des veines à celui de la veine

le récit d'un combat contre l'autodestruction –

(une chronique de Daphnis Boelens, avril 2014)


Tandis que je poursuis mon combat contre la secte des Témoins de Jéhovah satanistes de Tassin La Demi-Lune, enrichissant chaque semaine mon website associé (uneviesurlaterre.canalblog.com) de nouveaux textes qui portent matière à réflexion et suscitent de nombreuses réactions de tous côtés, mais aussi élargissant le propos du site à celui d'un combat contre toutes les formes de violences existant dans notre monde, notamment par la publication de chroniques concernant les récits autobiographiques de Tim Guénard et Virginie Vanos... voilà qu'en ce matin du dimanche 16 février, je reçois sur facebook un court message d'une jeune femme du nom de Samanta Borzi, qui me demande si ça m'intéresserait de parler de son livre, vu que je suis chroniqueur sur le web. Elle m'en touche deux mots, le sujet me touche, et j'accepte d'en rédiger une chronique. Deux jours plus tard, je reçois un exemplaire de son livre dans ma boîte aux lettres. Je me retrouve alors plongé, dès les premières pages, dans un récit très exceptionnel par sa sincérité, son regard cru, et par l'autocritique (je serais même tenté de parler d'« auto-procès ») qu'il dresse d'une femme qui a dû passer par l'enfer pour connaître, sinon le paradis, une réalité (en)viable. Une femme qui a connu le néant, puis le trop-plein, pour enfin trouver son eurythmie dans la partition de l'existence par l'intervention de plusieurs clefs (de sol) décisives. Son témoignage m'amène d'ailleurs à me poser la question de savoir si se faire du mal à soi-même est une étape nécessaire dans le cheminement visant à contrebalancer le mal que d'autres nous ont perpétré, afin d'atteindre une sorte d'équilibre, de point neutre entre deux extrêmes qui s'annihilent alors mutuellement, et d'espérer trouver, une fois cette phase critique franchie (une fois que l'on est affranchi de l'aiguillon de Damoclès qui oscille au-dessus de nos veines), sinon le bonheur, une certaine sérénité, et le désir de se (re)construire enfin. Le désir. De vivre.

Je ne cesse de répéter qu'il n'y a pas de hasard, et si ma rencontre avec Virginie Vanos à ce moment précis de ma vie n'en fut assurément pas un, j'aurais tendance à dire que celui avec Samanta Borzi n'en est pas un non plus. Ces rencontres s'avèrent en effet répondre à mon propre combat, de la même façon que des arcs-en-ciel répondraient simultanément au soleil et à l'orage. Ainsi vont les stratégies ambiguës de cette brume impénétrable appelée le « destin ». Comme un dessein. Comme un dessin. Abstrait. Qu'on doit décrypter. Où chaque œil y « crée » de sa propre perspective.

Samanta Borzi a connu très jeune la séparation de ses parents, tout comme moi, et s'est retrouvée partagée entre une mère esseulée d'un côté et un père séducteur de l'autre. Surgit dans la foulée, du jour au lendemain, une belle-mère autoritaire, cruelle, dénuée d'empathie, impératrice dans la gestion du pouvoir parental (si elle dispense une éducation « à coups de ceinture » à ses propres filles, elle sera bien plus dure encore avec Samanta qui apparaît à ses yeux comme une intruse dans la famille et devient rapidement le bouc émissaire attitré de ses pulsions qui frisent la barbarie), qui va précipiter Samanta dans la spirale inexorable de la souffrance domestique doublée d'une perte progressive de tous ses repères et d'un questionnement intérieur grossissant telle une tumeur : POURQUOI ? Pourquoi moi ? Pourquoi ça ? Pourquoi devoir vivre avec la peur au ventre et le mal au cœur ? La peur : une première drogue, émotionnelle celle-là, qui lentement, à son insu, s'insinue déjà en elle.

Plus concrètement : comment parvenir à trouver sa place au sein de ce double foyer, dont l'un des deux est surtout un foyer d'incendie ? Lorsque sa grand-mère décède, la seule personne dans son entourage qui parvenait à canaliser toute la colère contenue de Samanta, et à l'apaiser par une tendresse et une sagesse comme on rêve d'en trouver auprès d'une grand-mère (Samanta écrit : « Je me blottis tout contre elle et elle me caresse l'intérieur du bras jusqu'à ce que je m'endorme. Je l'aime de tout mon être et elle me le rend bien. »), Samanta craque. Elle est alors adolescente, et la dégringolade s'amorce, inexorable. L'adolescence, période de mutation, de métamorphose, où la poupée Barbie est remplacée par les romans de Stephen King (il y a un demi-siècle, ç'aurait été par les disques d'Elvis).

Par la plus grande des fatalités, lorsqu'on se sent exister en marge du monde, parce que différent, seul et incompris, en inadéquation par rapport à ce que nous avons le sentiment que le monde exige de nous, en porte-à-faux par rapport à ce qu'on avise lorsqu'on observe les autres personnes de notre âge autour de nous, on se marginalise. Oui, quand la vie nous plante au bord de l'autoroute, on cesse d'être conducteur ou passager, pour devenir auto-stoppeur. Le balluchon qu'on se trimballe, au passage, est toujours trop lourd pour nos seules épaules. On lève le pouce un temps, mais on finit rapidement par baisser les bras. On s'écarte, on s'isole, on dévie de la highway pour emprunter un sentier moins battu (en apparence, car le « battu » ce sera vous), où l'on pense trouver du réconfort, de l'oxygène, ou tout bonnement un sens à ce vagabondage calamiteux appelé la « vie ». On grimpe dans la première bagnole qui daigne s'arrêter pour nous prendre à bord, et ce n'est évidemment pas la plus judicieuse. À cet instant de notre épopée égarée, les rencontres que l'on fera seront décisives dans le cours des événements qui caractérisera notre biographie. Si on fait une rencontre magique, on peut se sauver et se reconstruire. Mais une rencontre nuisible peut au contraire floculer notre faillite spirituelle, psychologique et sociale.

Dans le cas de Samanta, à l'heure des premiers ébats amoureux, ce fut la rencontre avec un garçon plus âgé, qui l'initiera à la drogue, et sans qu'elle s'en rende compte (saleté d'innocence, quand tu nous tiens !) à l'accoutumance aux stupéfiants. Aux premières volutes chanvrées d'une cheminée de train à vapeur qui se met en branle, s'additionnent bientôt les rails poudreux du chemin de fer que trace l'impalpable parasite. La machine infernale s'est enclenchée, propre à vous conduire à la vitesse d'un TGV à une gare de No Mans's Land, d'où les trains qui repartent quand on essaye de la fuir, roulent tous dans la même direction : ils décrivent une chienne de boucle pour revenir au point de départ. Il n'y a soudain plus de départ ni d'arrivée, c'est l'engrenage... jusqu'au jour où ce train profite d'un aiguillage pernicieux pour emprunter une voie condamnée, qui se termine par un mur. Il ne reste alors qu'un train fou, lancé à toute vapeur, que plus rien ne peut arrêter, et duquel, pour ne pas y laisser sa peau, il faut parvenir à sauter en marche en faisant toutefois attention de ne pas se rompre le cou à l'atterrissage. Putain de ballast. Putain de fossé. Putain de largage.

Bien des métaphores que tout cela, certes. Mais il s'agit bien d'un train, et à un moment donné, lorsque certaines frontières physiques sont dépassées, ce train vous entraîne dans des régions inconnues, inexplorées de votre subconscient. On est alors à la merci de ce convoi endiablé, et ne reconnaissant rien de ce qui nous entoure, on n'est plus capable de réagir, de prendre des initiatives (et les bonnes décisions, en l'occurrence), d'élaborer un plan d'attaque (ou de contre-attaque) pour descendre de ce foutu train avant qu'il n'atteigne sa destination finale... qui n'est autre que ce mur dans lequel il foncera et qu'il heurtera de plein fouet pour tuer tous les occupants de ses wagons. Ce train-là ne ralentit jamais. Non, jamais. Il convient alors, non pas d'espérer un miracle pour en sortir, mais de s'entraîner mentalement pour parvenir à sauter en marche sans se tuer.

Oui, sortir de l'addiction à la drogue, c'est exactement cela. Un train lancé à vive allure sur un mur, qui ne s'arrêtera pas avant le mur, mais dont il faut apprendre à se sauver en s'éclipsant d'un bond avant le crash terminal.

Samanta Borzi a bien failli rester dans le train jusqu'à la collision, et plusieurs tentatives de sauter en marche ont échoué... jusqu'à l'apparition miraculeuse de cette main secourable que la vie lui a tendue depuis un train fonçant sur des rails parallèles, dont la destination n'était pas un mur cette fois mais un mûrissement profond de soi. Samanta Borzi est parvenue à sauter en marche du train de l'enfer, pour sauter en marche dans celui de la délivrance qui à un moment donné s'est aligné à hauteur du premier train. L'opportunité de survivre était là, il suffisait de la saisir, et de sauter d'un train à l'autre. Plus facile à dire qu'à faire. Les acrobaties au sens figuré ne s'improvisent pas. On ne saute pas aisément à pieds joints de son agonie à sa renaissance. Entre deux vies, il y a toujours une mort quelque part.

Ce train de l'enfer a toutefois eu le temps de parcourir bien des kilomètres et de franchir bien des frontières avant que Samanta ne puisse enfin le quitter, et c'est sur ces nombreux kilomètres parcourus que je vais m'attarder à présent. Ces kilomètres de vie ont brassé moult paysages dévastés par les bombardements, conséquences d'une guerre avec le monde entier, mais surtout d'une bataille avec soi-même.

Samanta écrit : « La rencontre avec la drogue vous laisse une marque indélébile. Je dirais que chaque être a une zone de faiblesse où il manifeste une conduite dépendante, si celle-ci est en plus décuplée par un besoin d'anesthésier certaines émotions qui semblent insupportables, la personne sera d'autant plus susceptible de basculer dans le chaos.
Lorsque cette zone de faiblesse est exploitée par la drogue, surtout le crack et l'héroïne, c'est l'ensemble de la personnalité de l'individu qui est défigurée, manipulée, comme hantée.
Plus de souffrance, plus d'angoisse, plus de mal ! Le changement d'humeur est tellement puissant, tellement immédiat que cela marque la conscience à vie. La capacité à décerner le bien du mal est alternée, anesthésiée également sans doute.
Je me rendais compte de tout mais je n'arrivais plus à réagir !
La distorsion des courbes de ma conscience et cette bagarre interne permanente entre le bien et le mal ont entraîné une telle haine de ce que j'étais devenue que tout cela a généré beaucoup de violence, de culpabilité et de colère...
J'étais devenue ma pire ennemie ! »

Des passages très durs nous frappent au fil de la lecture, relatifs à son enfance (cette période qui, comme nous le savons, façonne le reste de notre existence), comme celui où elle raconte que sa belle-mère ne sait pas faire la cuisine et l'oblige à manger des plats brûlés, jusqu'à la dernière miette, jusqu'à lécher l'assiette... et qu'un jour Samanta avait eu le malheur de vomir son repas, qu'elle avait alors été contrainte par punition de bouffer son vomi jusqu'au dernier grumeau prémâché. C'est l'accumulation de traumatismes semblables qui peuvent conduire un être à une pulsion autodestructrice qui ne fait que traduire une inversion des pôles : lorsque l'on est privé de tendresse, on trouve ses repères dans ce manque d'amour précisément, et la douleur devient une double nécessité. D'une part, lorsque le schéma de la souffrance devient récurrent, on développe le besoin de souffrir pour se sentir exister. D'autre part, on éprouve le besoin de se punir, par un mécanisme mental qui porte à conclure que si l'on est maltraité, c'est qu'on le mérite, et qu'en plus d'être puni par le monde, on doit donc aussi se punir soi-même. La rédemption du feu par le feu. Du viol par le viol.

Cela rejoint parfaitement un passage de mon dernier roman en date, L'Enfant Nucléaire (paru chez Sarbacane en 2012) : « Quand on ne reçoit pas de caresses, on apprivoise les coups, et les contusions se mettent à revêtir toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. On s’accoutume aux plaies, et sans s’en rendre compte, un jour on se retrouve à les rouvrir pour les faire revivre, parce qu’on n’existe plus qu’à travers elles. »

Samanta se défonce, à la cocaïne, à l'héroïne, plus elle s'en envoie plus son corps en réclame. Et lorsque son organisme commence à accuser les symptômes de l'accoutumance, son jeune fournisseur l'amène chez un homme qui accepte de lui refiler ses doses gratuitement... ou presque. Ce tournant marquera, en réalité, ses premiers pas dans la prostitution, et l'incipit de la déchéance. La vie en marge de l'amour enseigne des leçons vitrioliques : ton corps n'est qu'un instrument, que tu dois satisfaire par le poison pour tenir le coup mentalement, et que tu dois instrumentaliser pour obtenir de quoi te procurer ce poison. Finalement, dans cette phase précise, les dimensions spirituelle/intellectuelle/émotionnelle n'existent plus, seul existe un corps, qui s'avère à la fois une prison, un pique-assiette, un nombril narcissique et insatiable, et une poubelle. On n'existe plus que par son corps et pour son corps. Tout ce qui est de l'ordre du rêve, de l'affectif, du rapport social tout court, est relégué à la géhenne. Si j'ose dire.

De toute évidence, la drogue a le pouvoir de transformer une personne en sa propre antithèse, et c'est ce qui arrive à Samanta, qui se retrouve projetée dans un monde qui ne lui correspond pas, mais dans lequel elle va (devoir) poser ses jalons afin de survivre et de sustenter ce besoin (camouflé) d'autodestruction, d'auto-flagellation. Ce qui ne peut causer que du tort finit, à force, par être considéré comme la seule chose capable de procurer du bien-être. La plus grande perversité de la drogue, est de nous faire croire qu'elle existe pour nous apporter la plénitude et le remède à tous les maux, de nous faire croire, finalement, que c'est au cœur même du mal qu'on trouvera le bien, que c'est au cœur même de la souffrance qu'on trouvera le soulagement. De nous persuader que c'est par la douleur qu'on peut guérir (de) la douleur. De l'illusion pure et dure. Pure je ne sais pas, mais dure sans aucun doute. La perversité est d'autant plus efficace que le shoot provoque un effet orgasmique. On s'offre ainsi des orgasmes en solitaire à répétition chaque jour, qui ne durent que peu de temps, et qu'on paye cher, dans tous les sens du terme. Qu'on paye chair. On parle de l'orgasme comme d'une « petite mort ». On serait alors en droit de se demander : combien de fois doit-on crever pour pouvoir vivre enfin ? Vivre à mort !

Si l'on part du principe que Satan existe, je dirais que la drogue est sa plus belle réussite. Le simple fait de confondre douleur et plaisir, et d'élever cet oxymore au trône de l'accoutumance, est tout simplement diabolique.

Samanta insiste plusieurs fois dans son récit sur le caractère punitif des plaies infectées qui parcouraient ses bras et jambes, causées par les aiguilles de seringues. Elle se fait du mal pour se châtier de s'être infligé du mal, d'avoir perpétré du mal autour d'elle, et enfin pour se punir du mal qu'on lui a causé. Triptyque monstrueux, aux échos dantesques. En résumé, se punir pour avoir été punie : tel est, à ce moment de sa vie, la couleur de son destin. Ses bras charcutés, saignés, violentés dans la quête désespérée d'une veine à piquer (les veines, à un stade avancé de la toxicomanie, semblent se barrer à l'intérieur de la chair, comme pour réchapper aux essaims de piquouses échappés des ruches du leurre), ses plaies purulentes, au seuil de la septicémie (et au-delà), témoignent de la détermination avec laquelle Samanta s'implique dans son propre martyre. Elle veut aller jusqu'au bout... Mais au bout de quoi ? Quel est ce bout ? Le saura-t-elle seulement lorsqu'elle l'aura atteint ? Le sentira-t-elle lorsque le museau du train approchera dangereusement le mur planté en guise de butoir ?

Samanta absorbe de la drogue, et la drogue l'absorbe. Elle consomme de la drogue, et la drogue la consomme. Un rapport d'équivalence, pourrait-on dire. La drogue l'agenouille, la prostitution la met à quatre pattes, la violence et la vacuité des rapports avec les hommes l'allonge sur des lits de fortune comme dans des cercueils improvisés, où elle s'offre sans répit, la tête enfouie dans un oreiller le temps que le micheton ait « tiré son coup de fusil à pompe au canon scié »... dos tourné, tête enfouie dans l'oreiller pour ne pas voir la gueule grimaçante du gugus persuadé de lui donner du plaisir tout en prenant lui-même son pied, mais qui la débecte plus qu'autre chose ; elle éprouve un froid dégoût voire une méprisante indifférence pour tous ces hommes qui ne pensent qu'à leur propre jouissance et qui ne voient pas – ou ne veulent pas voir – qu'elle souffre et qu'elle a besoin d'être secourue ; parce que quand on paye on a le droit contractuel d'être aveugle et sourd ; parce que quand on paye on a le droit contractuel de puiser son plaisir dans la souffrance de l'autre. Ainsi, Samanta apprend (par autodéfense) à « être là sans être là », l'unique but de l'opération étant d'empocher de quoi s'offrir l'orgasme du shoot une fois encore, à des années-ténèbres de la jouissance sexuelle. Samanta meurt un petit peu plus à chaque passe, bien qu'en surface elle ne ressente plus rien. L'anesthésie du dédoublement. Elle n'est bientôt plus que l'outil de sa propre destruction. Les michetons et dealers ne sont que les outils de son outil, rien de plus. Ils sont les instruments de sa propre instrumentalisation. Causes et conséquences se confondent dans une orgie d'horloges déréglées. Samanta a le sentiment de se décomposer, telle une falaise progressivement creusée par les vagues salées de l'océan qui se fracassent incessamment sur sa poitrine rocheuse. Dans la poitrine, le cœur. Dans le cœur, le roc. Dans le roc, une braise... qui ronge le roc. Qui tient. Vaille que vaille. Vacillante.

Samanta Borzi - pic 1

Et puis, au sein de ce tourbillon de désolation, il y a des hommes qui compteront plus que d'autres, tous semblant surgis de nulle part, comme envoyés par le destin... ou par Dieu, diraient les hommes de Foi. Nicolas tout d'abord, un homme sérieux et sincère, bosseur et responsable ; un ouvrier en bâtiment. Un homme bien, qui tente de lui faire retrouver son équilibre, de la sortir de cette poisse toxicomane qui la défigure. Une première grossesse survient de cette relation (Samanta écrit : « Je suis une enfant qui a besoin d'un enfant comme elle a besoin d'un doudou. Un bébé me semble un bon remède pour guérir mes multiples plaies. En réalité, je désire un enfant comme on a besoin d'un médicament ! »). Un garçon se développe dans son ventre... Sacha... qui sera mort-né. Cette déchirure détruira son couple, et Samanta se retrouve seule à nouveau, avec pour seul conjoint le sentiment de culpabilité d'avoir tué son bébé à cause de la drogue qu'elle continuait à s'envoyer dans les veines pendant qu'elle était enceinte. Le verdict médical ne peut prouver que l'enfant est décédé en raison de la drogue, mais Samanta a trouvé là une nouvelle raison pour se punir, pour se faire du mal. Les seringues défilent, le sang ruisselle, le pus sourd, les plaies abondent, la mort sourit, aiguisant sa faux. Les déchirures dermiques en éruption ne parviendront toutefois jamais à éteindre cette braise dans son roc-cœur : celle du désir de s'en sortir, de devenir mère et conjointe, de fonder un foyer d'amour et de paix.

À ce moment-là elle ne le sait pas encore, mais en pensant que ce serait la naissance d'un enfant qui la sauverait de la drogue et de l'enfer, elle était dans le bon. Elle avait deviné où se trouvait la porte de sortie. Car c'est en effet ce qui se passera. Mais pas avec Sacha, l'enfant mort-né... Ni avec Medhi, l'enfant qu'elle aura ensuite avec Saïd, et dont la présence ne suffira pas encore à Samanta pour décrocher de cette vie de shoot, de trip, de strip et de sexe, balancée entre peep-shows et appartements insalubres. Samanta décrit si bien ces lieux sordides, sombres et sales, qu'on en perçoit les odeurs nauséabondes en rapprochant des narines les pages de son livre. Saïd n'est pas la bonne rencontre, car (sans doute désireux de lui faire plaisir ; une preuve d'amour qui constitue pratiquement une contre-preuve d'amour) il l'aide à se fournir en came quand elle en a besoin. Il consomme lui-même, alors forcément... Pas étonnant non plus qu'elle soit tombée sur lui. On fréquente qui on est (pour ne pas dire qu'on est qui on fréquente). À ceci près que Samanta fréquente des gens qui ne lui correspondent pas, car à ce moment-là, elle n'est plus elle-même. Une étrangère tangue dans le miroir. Elle est, dans la nuit du mal, une ombre de chair et de sang.

Au vu de la description détaillée que Samanta fournit de ce passé, il me paraît important de souligner un élément fondamental dans le cheminement de cette jeune femme et dans son issue favorable : à savoir qu'à travers tout elle était pleinement consciente de l'enfer qui se tissait autour d'elle et en elle. Mais nous savons tous que ce n'est pas parce que nous sommes conscients de certains mécanismes et engrenages nuisibles qui nous animent et nous manipulent, que nous sommes pour autant capables de les enrayer, et encore moins de les éradiquer. Conséquemment d'ailleurs, nous sommes bien souvent de meilleur conseil pour les autres que pour nous-mêmes. Nous sommes tous notre pire ennemi. Aucune planque ne pourra jamais nous dissimuler et nous protéger de nous-mêmes.

Néanmoins, c'est cette puissante auto-conscience qui maintient Samanta en vie, qui nourrit son désir de mettre un jour un terme à cette spirale infernale et de se reconstruire, et qui lui permet, sans qu'elle le comprenne sur le moment, de procéder à sa propre anamnèse afin de mettre le doigt sur tous les problèmes qui l'ont conduite à cette voie de chemin de fer létale, et sur le véritable remède qui la guérira de ce train (de ce train de vie) fonçant droit sur un mur.

On ressent, dans le récit de chacune des étapes de son existence, cette acuité sensorielle avec laquelle Samanta s'observe in situ comme à travers un miroir, et avec laquelle, des années après, penchée sur le clavier de son ordinateur pour écrire son histoire, elle se dissèque pour autopsier son calvaire avec une perspicacité de chirurgienne. Parce que, comme je le mentionnais quelques paragraphes plus tôt, elle a cette force que beaucoup n'ont pas (et qui, sans cette force, courent droit à leur perte, sans espoir de retour) : celle de se dédoubler jusqu'à devenir spectatrice de son propre destin, de son propre corps, de sa propre psychologie, de son propre désespoir. Elle est là sans être là. Une manière de se protéger, comme on retiendrait sa respiration pour ne pas inhaler la fumée d'un incendie dans une usine de produits chimiques. Un recul qui dédramatise, analgésie, recycle. Elle se regarde dans ce miroir imaginaire, et sait exactement où sont les failles à colmater, les problèmes à résoudre, et comment procéder pour y parvenir de sorte que l'entreprise ait un impact radical sur le cours effréné des événements. Elle n'a juste pas la force physique nécessaire pour entreprendre le grand saut du train de la mort à celui de la vie qui roule en parallèle.

On ne peut pas s'en sortir seul : Samanta serre les poings et se décide à aller quérir de l'aide.

Commencent alors les visites et tentatives régulières dans des centres thérapeutiques, des associations de soutien aux toxicomanes, des cliniques de désintoxication de toutes sortes. Tentatives souvent infructueuses, occasionnellement minées par la colère face à une administration conçue pour analyser des humains comme on étudierait des voitures. Des juges qui ne comprennent pas la réalité d'une toxicomane, qui fonctionnent malgré eux par préjugés (comble pour un juge, que le préjugé, non ?), qui estiment qu'une droguée n'est pas apte à fonder une famille, à s'occuper de ses enfants, même quand les faits, les actes, les efforts déployés tendent à prouver le contraire. Mais le mot « drogue » clignote à leurs yeux comme l'enseigne d'un motel dans la nuit noire. Pour eux, « drogue » signifie « coupable »... alors que ce terme contient aussi intrinsèquement la notion de « victime ». Une maman droguée est pour ces juges et médiateurs une droguée. Alors qu'une maman droguée est avant tout une maman. Il lui faudra donc un jour choisir entre « mère » et « merde ». Cela, elle l'a bien compris. Ça ne se fera pas du jour au lendemain. Il y en aura des nuits noires à passer. Et les jours et les nuits se confondront. Il y en aura des assiettes de bouffe cramée à avaler jusqu'à la dernière miette, au sens figuré cette fois. À la défigurer de dégoût... mais aussi de colère, et de désarroi.

Samanta est cependant le juge le plus sévère de tous par rapport à elle-même. Le plus impartial, peut-être. Elle ne se fait, pour ainsi dire, pas de cadeau. Lorsqu'elle récupère Medhi mais sent que l'emprise de la drogue est encore trop forte, elle va elle-même le remettre à un centre afin qu'on prenne soin de lui car elle s'en sent incapable et ne veut pas lui faire du mal. Preuve que nous sommes en face de quelqu'un de responsable, qui à ce moment-là n'a seulement pas encore la force ou le déclic pour s'en sortir. L'envie est le premier pas vers la sortie, mais ne suffit pas en soi pour gagner cette sortie : il faut qu'elle soit accompagnée d'une énergie et d'un soutien solides et durables.

Le texte de Samanta Borzi, qui a la fois la dénude dans son autoviolence et la condamne pour s'être laissée emporter par le courant d'air (car la drogue, c'est du vent, rien de plus, mais un vent de l'ordre du cyclone, qui ne laisse personne indemne sur son passage), et à la fois l'observe d'un regard extérieur et solidaire de la souffrance subie, nourrit l'empathie du lecteur. L'empathie est la qualité la plus importante qui soit chez un être humain, car qui est dénué d'empathie est dénué de la faculté d'aimer, la faculté la plus essentielle qui soit. Si l'on ne comprend pas la souffrance d'autrui, si l'on ne cherche pas à la comprendre mais qu'on se cantonne à la juger avec condescendance en se croyant soi-même à l'abri de toutes les erreurs et de tous les « crimes » que les autres commettent, on accuse la même froideur que celle d'un tueur en série lorsque, au volant de sa bagnole, il repère sa prochaine victime. Regarder sans amour, c'est comme détourner les yeux.

Arrive enfin un homme qui jouera un rôle décisif dans sa vie : Samuel. Elle aura avec lui Lily, son troisième enfant, celui qui lui fera l'effet d'un électrochoc et la persuadera d'arrêter la drogue une bonne fois pour toutes. Elle ne restera cependant pas en couple avec Samuel (Peut-être ne se sont-ils pas rencontrés au bon moment, peut-être est-il trop intimement lié à cette période de sa vie où la cocaïne, l'héroïne, constituaient son réveil-matin et sa fenêtre sur le monde ? Et ce, bien que Samuel fût un homme droit dans son mode de vie et sincère dans ses sentiments.), mais refera sa vie avec Sébastien, un homme divorcé, lui aussi papa d'une petite fille, homme avec qui elle partage désormais son quotidien, dans la paix, la joie, et l'équilibre enfin retrouvé.

Ainsi, Samanta ne s'était-elle pas trompée en songeant, jeune déjà, que ce serait un enfant qui la sauverait de l'autodestruction, de l'autoviolence, de la pulsion d'auto-flagellation. Mais ce ne fut pas le premier enfant (Sacha), ni le deuxième (Medhi) ; il fallut attendre le troisième (Lily). Aucun amour n'est aussi fort que celui d'un enfant, et l'on peut en conclure, au final, que c'est l'amour qui l'a sauvée du « carnage » (un terme que je ne choisis pas au hasard). Ce livre est donc bien une histoire d'amour : à travers l'amour que lui portent ses enfants et Sébastien son compagnon actuel, Samanta a aujourd'hui (ré)appris à s'aimer. Dans la foulée, elle aime la vie, la dévore à pleines dents, réalise ses rêves, se rebâtit avec plus de foi et d'enthousiasme que jamais... Elle est enfin elle-même, après avoir « incarné » son contraire.

Son combat n'est pas terminé, car elle doit aujourd'hui « rattraper le coup » vis-à-vis de son fils Medhi qui souffre encore à l'heure actuelle de troubles abandonniques et de problèmes de communication dus au fait qu'il a passé une partie de son enfance dans des centres d'accueil pour enfants de toxicomanes, privé de cocon familial, ne voyant sa maman qu'une fois par semaine, voire une fois par mois, et ce des années durant. (Samanta écrit : « Je reste consciente que mon fils a été très abîmé par tout ce qu'il a vécu et qu'il ne sera pas simple de réapprendre à vivre avec tout ce passif, mais à force de patience et d'amour, rien n'est impossible. ») Samanta lui offre aujourd'hui tout l'amour possible pour renouer ce lien sacré avec son fils et lui panser les plaies morales. Rien n'est facile, mais quand l'amour s'érige en moteur des rapports, j'ai tendance à croire qu'on peut réparer certaines blessures, et qu'on peut aboutir à quelque chose de beau. De sain. De vrai.

Ce récit autobiographique nous prouve deux choses importantes. Pour pouvoir se sortir d'une situation tragique et d'une spirale délétère, il faut en effet que deux paramètres se croisent, tels des rails de chemin de fer s'unissant à l'approche d'une gare. De la vraie gare de destination, cette fois. Premièrement, il faut le vouloir. Il faut une volonté, une combativité, une soif de vivre profondes, qui permettent de saisir, lorsqu'elle se présente, l'opportunité que la vie nous offre pour nous en sortir. Mais il faut aussi qu'à un moment donné la vie nous offre cette opportunité (ce qui n'est malheureusement pas donné à tout le monde), que la vie nous sourie de quelque manière que ce soit, qu'elle nous apporte quelque chose de suffisamment puissant pour raviver le feu sacré en nous, et nous permette par cela de saboter le cercle vicieux qui s'est introduit tel un cambrioleur dans la quadrature de notre intimité pour en dérober toute flamme, toute joie, toute vitalité, toute créativité. Dans le cas de Samanta, ce fut l'arrivée de son troisième enfant : Lily. La vie lui a fait un cadeau qui lui a donné la force-« pelleteuse », le désir inexpugnable de contrecarrer l'entreprise de démolition que représente la drogue.

Chance et volonté, c'est là l'(ad)équation parfaite de l'existence humaine. Sans chance, avec uniquement la volonté, on est irrémédiablement voué à l'échec (mon propre destin me l'a maintes fois prouvé). Et sans volonté, on est tout aussi voué à l'échec lorsque la chance se présente car on ne la saisira pas. Samanta a eu de la chance, mais aussi de la volonté, sans quoi elle ne serait sans doute plus de ce monde. Samanta est consciente de cela, reconnaissante même, et témoigne de cette vérité dans son récit. On ne s'en sort pas seul. On ne s'en sort pas par hasard non plus. Et surtout, on ne s'en sort pas pour rien.

Oui, chance et volonté. Veine et combativité.

En ce sens, le livre de Samanta Borzi est une véritable leçon de vie. Ce que l'on apprécie particulièrement dans sa démarche, c'est la franchise, la nudité, l'authenticité, avec laquelle elle dévoile son expérience douloureuse. Et pourtant, malgré ce dévoilement, on ressent chez Samanta Borzi beaucoup de pudeur, de respect, de tact. Ce qui l'illumine d'une grande beauté intérieure. À la fois un appel au secours (pour les autres personnes qui sont dans une situation comparable à celle qu'elle a vécue, qui ne s'en sont pas encore sortis et ont urgemment besoin d'aide, et surtout pour ceux qui n'osent pas demander de l'aide), à la fois un mea culpa (pour tout le mal que l'autodestruction peut causer autour de soi, auprès des gens qui nous aiment, veulent notre bien-être et se battent corps et âme pour parvenir à nous sauver du mal et de nous-mêmes), ce partage de vécu dénote une grande générosité de cœur. Une grandeur d'âme.

Oui, pour tant de raisons, « La drogue dans mes veines mes enfants dans la peau » est un (p)acte d'amour. Merci, Samanta, nous t'aimons aussi.

Daphnis Olivier Boelens, avril 2014


Samanta Borzi - 5


INTERVIEW de SAMANTA BORZI (avril 2014) :

Daphnis Olivier Boelens : As-tu été confrontée, depuis la rédaction de ce livre, à des personnes qui sont dans la même situation, dans le même enfer dans lesquels toi-même tu t'étais trouvée ?

Samanta Borzi : Oui, bien évidemment. Je me suis engagée sur le terrain, tant auprès des usagers que des intervenants. Je vais régulièrement à la rencontre des usagers, dans un centre d'urgence, Transit. J'y ai fait beaucoup de séjours à l'époque, et je suis persuadée que ce genre d'établissements doivent se multiplier. Quant aux intervenants, je vais dans des écoles d'infirmiers, de sages-femmes, d'éducateurs spécialisés, et j'essaye de leur amener des outils et des clés pour les préparer à aller sur le terrain. J'ai eu quelques juges de la jeunesse qui m'ont aussi contactée, après avoir lu le livre. Les retours sont plus que positifs et j'ai bon espoir que les mentalités et la façon qu'ils ont d'interagir avec ce public, changent.

D.O.B. : Comment réagis-tu (ou réagirais-tu) face à quelqu'un se comportant agressivement parce que sous l'emprise de la drogue ou du manque, un peu comme toi-mêmes tu aurais pu réagir sous l'emprise de la drogue ou du manque ? Est-ce que d'avoir vécu la chose et d'être consciente de tous les mécanismes physiques et psychologiques que cela engage, te permet-il de mettre ces toxicomanes en confiance et de les aider ? Sont-ils plus à l'écoute avec toi (parce que tu fus comme eux) qu'avec des médecins qui ne parlent qu'à travers la science ou avec des juges qui ne s'expriment que par la loi ?

S.B. : Je ne me suis jamais retrouvée dans cette situation puisque ce que je leur apporte, c'est de l'écoute et de l'empathie. Et crois-moi, lorsqu'on est "dedans" ça fait un bien fou. J'essaye de leur renvoyer que c'est possible, qu'ils sont capables de... Lorsque je discute avec eux, ils sont en confiance car ils savent que je suis passée par là. Tu sais, je me mets simplement d'égal à égal et on discute, on parle, on échange. Je n'oublie pas la réalité qui est la leur. Ce serait orgueilleux de penser que juste parce que j'arrive, ils vont arrêter. En revanche, si j'amène des choses et que cela leur donne à réfléchir, à se dire qu'il est possible de s'en sortir, j'aurai gagné une bataille contre cette merde. En gros, ce que je veux leur montrer, c'est qu'il y a de l'espoir. Toujours ! « Rien n'est impossible quand on le veut vraiment ! » Carl Rogers a écrit : « Quand j'ai été écouté et entendu, je deviens capable de percevoir d'un œil nouveau mon monde intérieur et d'aller de l'avant. Il est étonnant de constater que des sentiments qui étaient parfaitement effrayants deviennent supportables dès que quelqu'un nous écoute. Il est stupéfiant de voir que des problèmes qui paraissent impossibles à résoudre deviennent solubles lorsque quelqu'un nous entend. » (Carl Rogers) Ce Monsieur avait tout compris.

D.O.B. : Si tu pouvais remonter le temps, penses-tu que tu opérerais des choix différents afin d'obtenir un parcours moins rude, moins violent, moins dangereux ? Sais-tu les choix que tu aurais dû faire ou ne pas faire pour éviter la spirale infernale que tu as connue ? En d'autres termes, peux-tu identifier précisément le moment où tout a commencé et où une alternative aurait encore pu dessiner in extremis une tout autre perspective de vie ?

S.B. : J'aime à penser que la vie, Dieu, l'Univers, appelle ça comme tu veux, ne te fait pas endurer tout cela sans une raison valable et si tu n'es pas capable de les surpasser.... Il y a des leçons et du positif à tirer dans tout... Il est très difficile de répondre à ta question, car il ne s'agit pas que de moi, mais bien des dommages collatéraux que mes choix ont provoqués.
Si je voudrais que mon premier fils soit en vie ?
Si j'aurais voulu accompagner mon père correctement dans la maladie jusqu'à sa mort ?
Si je ne voulais pas abîmer autant mon deuxième fils ?
Tout cela, oui, je l'aurais voulu ! Tu sais, je suis fière de moi car j'ai surmonté tout ça, mais il me reste une chose que je ne pourrai jamais enlever, un stigmate : la culpabilité. Et lorsque j'entends les grands discours qui me disent qu'elle me nourrit, je réponds... que oui, effectivement. Je ne la laisse pas guider ma vie mais elle est bien présente, car j'ai appris, et surtout j'ai pris conscience... C'est le contraire qui ne serait pas normal.
Alors, je vais te répondre en toute sincérité. Je pense que chaque étape de ma vie m'a permise d'être qui je suis aujourd'hui. Certes, c'est à coups de pelle dans la tronche que je me suis transformée et que j'ai appris à être bienveillante avec moi et avec les autres, à profiter de chaque instant, à regarder les choses différemment, à me dire que tout cela à un sens. J'aime la femme, la mère, la fille que je suis devenue. Si on retourne ta question, y serais-je arrivé sans avoir vécu tout cela ?

D.O.B. : Ta question faisait l'objet de ma question suivante, en fait : Ou penses-tu, au contraire, que si c'était à refaire, tu referais pareil parce que c'est du fait que tu as connu tous ces déboires et toute cette violence que tu es devenue aujourd'hui une femme épanouie, heureuse, assoiffée de vie et consciente de ton bonheur ? Penses-tu qu'on ait nécessairement besoin de souffrir pour comprendre la vie et pour se construire solidement ? Penses-tu que ce chemin chaotique était absolument inévitable pour avoir fait de toi la femme que tu es aujourd'hui ? Crois-tu que le destin t'a fait vivre ces épreuves pour t'amener à écrire ce livre qui pourra aider des personnes dans le même cas que toi, et pour te permettre de témoigner également de vive voix dans les écoles, les centres, les refuges ? Pour résumer le tout : dans quelle mesure penses-tu que l'on est maître de sa propre destinée ?

S.B. : Ce serait des plus présomptueux d'avoir la certitude d'être destinée à faire le bien. En revanche, ce que je sais, c'est que j'essaye de faire quelque chose de bien, à partir de ce qui m'est arrivé de mal. Je suis empreinte d'une avidité de vivre, de partager et de distiller toute l'énergie positive que je ressens aujourd'hui. Je ne souhaite pas à mon pire ennemi ce que j'ai vécu. Mais, je remercie le ciel tous les jours d'être avec les miens et de m'avoir gardée en vie car celle-ci a enfin pris un sens.

D.O.B. : Quel message délivrerais-tu aujourd'hui à un jeune qui serait tenté de s'essayer à la drogue ? Ou plutôt, par quelle formulation, par quel choix de mots, tenterais-tu de l'en dissuader ?

S.B. : Gainsbourg avait déjà très bien fait ça en écrivant "Aux enfants de la chance". Mes mots à moi seraient:
Si tu vas sur ce chemin, tu te perdras.
Si tu touches à cette crasse, tu connaîtras le pire de toi.
Si tu t'engages à la prendre comme compagne, tu deviendras orphelin de tout.
La poudre c'est le diable incarné ! Ne t'y aventure pas.

D.O.B. : C'est curieux que tu associes la drogue au diable, car c'est aussi ma vision des choses, que j'évoque d'ailleurs dans la chronique de ton livre. Nous nous retrouvons sur ce point. Et même si mon vécu n'est pas semblable au tien, je crois que sur bien des choses nous nous comprenons.

Merci beaucoup, Samanta, pour ce témoignage poignant, intègre, à cœur ouvert. Je te souhaite beaucoup de bonheur au sein de ton foyer reconstruit, avec ton compagnon et tes enfants. Que plus aucun mal, qu'il soit chimique ou humain, ne vienne perturber ta sérénité. Nous te voulons tous heureuse et souriante comme tu l'es aujourd'hui.

Daphnis Olivier Boelens, avril 2014