« Femmes
battues, hommes battus :
un
débat qui frappe fort ! »
(par
Daphnis Boelens, mai 2014)
« Nunzia
Benedetti : le puzzle abîmé »
Deuxième
approche du débat, avec le témoignage de Nunzia Benedetti,
dans sa
nouvelle intitulée « La Sentence ».
Après
le témoignage coup-de-poing de Virginie Vanos dans son livre
intitulé Battue !, voici le récit poignant de Nunzia
Benedetti, titré La Sentence,
qui adopte une optique très particulière, fictionnalisante
et surréaliste, mais propre à rendre le sujet plus « dramatique »
que par une simple caméra-témoin.
En effet, plutôt que de relater son expérience à la première
personne du singulier à travers son propre regard (comme c'est
généralement le cas dans l'exposition d'un vécu de femme/d'homme
battu(e), ou de quelque vécu que ce soit), Nunzia choisit de faire
parler le bourreau, de décrire la situation à travers le regard et
l'appréciation de cet homme aux abois et se confiant (à
cœur ouvert ?) face à un
tribunal qui, de prime abord, nous semble ordinaire, mais qui n'est
pas lui non plus de l'ordre du commun. N.B. : je ne
dévoilerai pas la nature du tribunal en question... pour tout savoir
sur ce point et sur bien d'autres, lisez la nouvelle de Nunzia
Benedetti.
L'homme, traduit en justice, se
décrit, explicite ses gestes, en souligne avec désinvolture le
caractère involontaire quant il s'agit d'aborder les conséquences
d'un coup malencontreux, d'un traitement dégradant ou de sévices
purement destinés à apprendre à sa compagne les bonnes manières,
ou, pour reprendre ses termes, à la « dresser ». Au fil
du « déballage » de ses propres mécanismes
psychologiques, on se surprend toutefois à ne pas adopter la
position de juges, mais bien celle de psychologues auditionnant un
patient à huis clos. Nunzia parvient à prendre le recul nécessaire
par rapport à sa propre expérience pour s'intéresser au substrat
psychique de l'accusé et pour investiguer l'anamnèse de ce que
celui-ci définit comme étant une « maladie » au même
titre que la pédophilie (qu'il cite d'ailleurs en exemple comparatif
dans son plaidoyer).
Le
bourreau, s'exprimant à la première personne, se pose en victime,
d'une part de son enfance écharpée par les maltraitances
prétendument disciplinaires, d'autre part du désintérêt voire du
mépris de la société eu égard à un homme aux comportements
agressifs par dépit et non par plaisir. Il espère toujours de
l'aide, du soutien, mais n'essuie qu'exclusions et sarcasmes. Il ne
cesse de répéter que lorsque ses crises de violence se tassent, il
regrette, il implore le pardon, il pleure toutes les larmes de son
corps. Technique d'apitoiement, ou aveu d'un dédoublement de
personnalité dû à l'incapacité de se débarrasser d'une éducation
brutale et foncièrement misogyne, dispensée par la figure
paternelle ? Un père des plus sadiques, d'ailleurs. Difficile
de ne pas évoquer ce passage où il raconte la manière dont son
père s'y prenait pour corriger sa propre femme (la mère de
l'accusé, donc), en la torturant avec des tenailles jusqu'à la
faire s'évanouir, pour ensuite la réanimer afin de la torturer
encore. Épisode
qu'il évoque, entre autres,
pour dédramatiser sa propre tentative de noyer sa compagne dans la
baignoire. De fait, qu'est-ce qu'une petite noyade à côté
de la torture des pinces de son père ?
« Moi
je n'ai jamais utilisé de pinces, je ne suis pas comme lui...
La
baignoire ! Mais c'était un moment d'égarement, rien de plus.
Je
ne cherchais pas vraiment à la noyer, je voulais juste lui faire
peur. »
Toute
la plaidoirie du tortionnaire se stratifie par coulées de
circonstances atténuantes, non pas le dédouanant de toute
culpabilité, mais réduisant considérablement sa responsabilité
dans ces moments assimilables à des raptus. En même temps,
l'auto-conscience que révèle le « protagoniste de l'horreur »
à mesure qu'il progresse dans l'exploration des faits, comportements
et motivations, sème le doute dans l'auditoire. Peut-on reconnaître
des sursauts de « folie » à un homme dont la raison est
capable d'articuler de manière aussi argumentée un compte-rendu de
ses méfaits ? La « folie » n'est-elle pas une case
de pis-aller pour détourner l'attention des jurés de la véritable
implication d'un cœur barbare dans la perpétration de ses actes
répréhensibles ?
L'élément
déclencheur de ce déchaînement de violence, nous expose l'accusé
de ce procès à l'issue kafkaïenne, est systématiquement un mot,
une attitude, une provocation émanant de cette femme dont il est
question dans son laïus. Une manière détournée de reporter la
plus grande part de responsabilité sur la victime elle-même qui,
somme toute, comparée à la mère de l'accusé, n'est qu'une
femme paresseuse, capricieuse, désobéissante et aguicheuse.
Oui, finalement, n'est-ce pas la faute des victimes si les agresseurs
se rendent coupables de mauvais traitements ? Le simple fait
d'« être soi » établit de facto la victime comme
la « cause avérée » de tous les sévices qu'elle
subira. C'est de sa faute si elle est jolie et que les hommes se
retournent sur elle dans la rue... c'est de sa faute si elle est
cultivée, intelligente, et se sert d'un vocabulaire érudit qui lui
permet de s'exprimer avec précision et pondération... c'est enfin
de sa faute si elle a mis au monde une petite fille, alors qu'avec un
peu de bonne volonté elle aurait mis au monde un garçon !!!
« moi,
je ne parlais pas bien comme elle, alors elle finissait toujours par
avoir l’air d’avoir raison mais en fait c’était injuste, parce
qu’elle connaissait les mots ! Tout le monde l’écoutait avec ses
phrases compliquées, des phrases comme dans les livres… Elle
charmait tout le monde… Mais moi, elle me tapait avec tout son
vocabulaire savant, elle m’humiliait, c’est à elle que les gens
parlaient, alors qu’une femme ne doit pas parler en présence de
son mari, elle doit s’effacer, laisser l’homme faire ! »
« Alors,
le jour de l’échographie, dès que j’ai su que c’était une
fille, j’ai compris que c’était de sa faute.
Elle
y mettait tellement de mauvaise volonté, une fille ! L’aîné de
mes enfants devait être un garçon enfin !
Vous
comprenez ? »
Tel
est donc le portrait que dresse indirectement Nunzia Benedetti, à
travers le témoignage de cet homme qui se retrouve, sans vraiment
savoir comment, devant une cour de tribunal, avec pour seul avocat sa
propre conscience.
Au-delà
de l'histoire elle-même, et des faits relatés, une des parties les
plus intéressantes du texte de Nunzia est le sous-texte. Lors d'une
de mes conversations avec elle, où nous partagions nos impressions,
elle par rapport à ce vécu avec cet homme qui la martyrisait, moi
par rapport à ce vécu auprès de cette congrégation de Témoins de
Jehovah de Tassin La Demi-Lune, nous sommes tombés d'accord sur un
point essentiel : l'idée que dans la violence conjugale comme
dans les sectes, l'idée maîtresse du modus operandi
est de vider la personne de sa personnalité pour la remplacer
par une autre, plus docile, plus malléable... plus facile à
broyer !
Nunzia
Benedetti : « Comme
pour les sectes, la violence conjugale intervient après un long
travail de démantèlement de la personnalité de la victime...
difficile, tu dois le savoir, de remettre en place les pièces du
puzzle et parfois certaines ont tellement été altérées que cela
n'est pas possible. »
Daphnis
Olivier Boelens : « Oui,
tu as totalement raison. Hommes violents (ou femmes violentes, il y
en a aussi, j'en ai connu) ou sectes, c'est le même principe : te
vider le crâne pour mieux l'écrabouiller d'une seule main, comme
une coquille d’œuf évidée. Je ne serai moi non plus pas
réparable complètement. Mais écrire, comme pour toi avec ce livre,
était une nécessité. Sans ce blog et sans mes amis qui me
soutiennent, j'aurais plongé pour de bon. »
Cet
effacement de la personnalité se justifie par l'affirmation directe
ou l'insinuation que nos parents n'ont pas fait du bon travail, ne
nous ont pas élevés correctement, et que par conséquent il
convient de nous rééduquer, de nous reformater, cette fois sur base
de vraies valeurs, des bonnes valeurs. Tout ce que nous aimons (nos
goûts et nos couleurs), tous nos principes, tous nos rêves, notre
éthique et notre foi, notre mode de vie et notre regard sur les
choses sont, aux yeux de ces gens, erronés. Nous sommes dans
l'erreur, eux sont dans la vérité. Nous ne savons rien faire
correctement, ni de nos dix doigts, ni de notre misérable cerveau,
mais eux se comportent à la perfection, représentent un modèle
pour l'espèce humaine. Nous avons tous les défauts du monde, eux
n'ont pour défaut que d'être trop gentils/patients/indulgents avec
nous, de ne pas être assez fermes et exigeants. Nous devons oublier
tout ce que nous étions, tout ce que nous désirions, tout ce que
nous pensions, car nous étions dans l'erreur depuis le départ. Et
ces « bienfaiteurs providentiels » se proposent galamment
(avec un fouet mental, quand il n'est pas physique) de nous
reformater, afin que nous soyons parfaits comme eux. En somme, ce
sont des redresseurs de torts, des détenteurs de toutes les vérités,
des intelligences perspicaces. Et comme nous ne sommes jamais assez
vertueux à leurs yeux, les coups pleuvent. Sévices corporels,
matraquages mentaux, humiliations, mises en doute continuelles de nos
dires et de nos actions... Et ce n'est pas grave s'ils nous font
souffrir, puisque nous sommes des moins-que-rien, pas dignes d'amour
ou même de considération. Nous avons tout à apprendre. De
surcroît, mauvais élèves, nous n'apprenons les choses que par la
force.
Très
souvent, par « violence conjugale », nous entendons
« violences physiques ». Mais une part importante de
cette violence se réalise, tout comme dans le cas des sectes, sur un
plan psychologique. Outre la domination à proprement parler, il
s'agit, dans ce dernier cas, de rendre la personne totalement
impuissante, privée du sens de l'initiative, du droit décisionnel,
de toute marge de manœuvre, de la faculté et de la possibilité de
dire non à ce qui va à l'encontre de sa nature ou de ses
convictions. C'est la porte ouverte aux pratiques sexuelles déviantes
ou non-consenties, à l'exploitation domestique, à l'infantilisation
de l'individu adulte, au chantage porté sur les besoins fondamentaux
d'un être humain, aux menaces proférées contre les personnes
aimées de celui-ci et qui constituent son propre entourage (de
longue date : famille, amis), aux humiliations et
dévalorisations privées et publiques...
La
violence s'accompagne également de toute une série de facteurs qui
empêchent la victime d'acquérir ou de conserver son indépendance
financière, matérielle ou pratique. En d'autres termes, l'idée est
de la soumettre corps et âme, de l'empêcher de réagir, de
contre-attaquer, de se défendre, d'imposer ses limites... et de fuir
son bourreau. Quelques exemples très simples : interdiction de
passer son permis de conduire, d'où dépendance de la voiture du
bourreau (Nunzia le mentionne dans son texte), emprisonnement dans un
cercle de dettes ou dans une dépendance financière et matérielle
totale (qui se retrouve également dans « La Sentence »),
contrôle des contacts extérieurs avec la famille ou les amis
(« Après
les enfants, nous étions liés par les dettes. Il n’était pas
question de divorce. J’avais pris les devants, tout était à son
nom, elle était obligée de rester sinon j’aurais arrêté de
payer les échéances et elle aurait tout perdu. Je le lui avais dit,
j’arrêterais de travailler, je serais insolvable et elle n’aurait
eu que les yeux pour pleurer. »).
À
ces éléments pratiques et tangibles s'ajoute souvent l'installation
progressive d'une dépendance affective, parfois sexuelle, qui peut
jouer aussi bien sur une sexualité effrénée que sur la privation
totale de tout rapport. Cet ensemble de composantes mène peu à peu
le sujet à l'état de SUJÉTION.
Il est important de souligner que « réduire quelqu'un à
l'état de sujétion est punissable par la loi, et peut mener à des
peines d'emprisonnement ». Le tout est que la personne qui
a subi ces traitements « se décide à parler », car le
silence non seulement ne résout rien, mais de surcroît renforce le
pouvoir des bourreaux, qui la prochaine fois, se sentant
invulnérables, avec une autre victime iront plus loin encore...
jusqu'au meurtre.
À
noter également que pour que cette SUJÉTION
soit efficace, il faut travailler l'individu au corps, et ce
quotidiennement. Il est essentiel de lui faire sentir qu'il est
inférieur à soi (au bourreau, donc), en dressant l'inventaire de
tout ce qui le rend de prime abord inférieur et en remettant chacun
de ces éléments sur le plat aussi souvent que possible afin de
créer un sentiment de gêne permanente et de nourrir le complexe
d'infériorité conséquent. Par exemple, si le salaire que gagne le
bourreau est supérieur à celui de la victime, le bourreau fera
sentir à la victime qu'elle n'est rien et qu'elle a besoin de lui
pour subsister, qu'elle est un boulet pour lui car il va devoir la
« protéger », l'« entretenir », lui
« permettre de vivre ».
Si
la victime accuse une santé fragile, le bourreau se servira de ce
prétexte pour souligner le poids qu'elle représente pour lui, et
les responsabilités qu'il a vis-à-vis d'elle. Par conséquent, il
invitera la victime à se faire la plus discrète et la plus
invisible possible, afin de ne pas plomber le quotidien du couple.
C'est déjà suffisamment difficile comme ça !
Si la religion entre en ligne de compte, il ne sera pas surprenant
d'entendre le conjoint asséner des formules telles que « si tu
es malade, c'est parce que Dieu t'a puni(e) pour être quelqu'un(e)
de mauvais, et s'il t'a fait me rencontrer, c'est pour te ramener au
bien, alors tu as tout intérêt à m'obéir si tu veux un jour
connaître le paradis ! ».
L'humiliation,
dans ce rapport de « violence conjugale ou domestique »,
se décline à moult strates relationnelles. Des défauts physiques
de la victime peuvent entrer en ligne de compte dans la
dévalorisation de la personne, notamment (ce qui est le plus
blessant, car ce qui éveille le plus de frustrations dans nos
sociétés) pour une femme l'absence de seins ou son obésité, et
pour l'homme la petite taille du sexe, sa complexion chétive ou
encore ses traits efféminés – les victimes ne sont d'ailleurs pas
choisies au hasard, mais en fonction de ces « critères
exploitables ». Déjà que tu es mal foutu(e), si en plus tu
ne fais pas profil bas, je te quitte !... Et comme tous les
meubles sont à moi, tu vas te retrouver à la rue !
Un
handicap tel qu'un léger boitement, une allergie, un tic/t.o.c. ou
une surdité partielle peut aussi faire l'objet de railleries et
dévalorisations quotidiennes. Si la victime est au chômage ou
dépend d'aides sociales, le rappeler lors de réunions d'amis ou de
dîners de famille contribue à solidifier l'impression d'infériorité
de la victime, et son idée qu'elle a pratiquement besoin de son
bourreau qui, lui, comme par hasard, travaille et n'est pas un
« assisté ». Si, en revanche, le bourreau vit en
« assisté », il s'arrangera pour faire prendre
conscience à sa victime que le travail que la victime effectue
correspond à ce qu'il y a de plus bas, de plus ridicule, de plus
déshonorant, et ne se gênera pas pour répéter à longueur de
soirées – et même en journée par textos et appels téléphoniques
pendant que la victime bosse pour ramener de l'argent au foyer –
qu'il vaut mieux ne rien faire de sa vie qu'occuper le poste qui est
le sien. Si c'est un poste à responsabilités, et que la victime
gagne bien sa vie et grimpe les échelons, le bourreau se chargera
d'observer les moindres faits et gestes de celle-ci au sein du foyer.
Fuseront alors des phrases assassines telles que : « Tu
joues au petit chef en donnant des ordres à ton boulot, mais tu n'es
même pas capable de repasser convenablement une chemise ni de faire
à manger sans tout brûler ! T'as eu ton poste dans un
sachet-surprise ou t'as été pistonné(e) via la
promotion-canapé ??? »
Tous
ces exemples concrets tendent à démontrer que la violence
psychologique est tout aussi dévastatrice que la violence physique,
et si les traces n'en sont pas visibles à l’œil nu, elles n'en
sont que plus difficiles à cicatriser. Chaque élément de cette
persécution domestique peut n'apparaître que comme une broutille en
soi, mais c'est l'ensemble de ces éléments qui va constituer le
harcèlement moral et « instituer » la dévalorisation de
la personne, préparant le terrain pour des violences alors plus
terribles encore. Il est intéressant de noter que les hommes battus
ne le sont pas de la même manière que les femmes battues. Si un
tabou de taille existe encore concernant la violence des femmes
contre les hommes (quand j'ai moi-même déclaré sur facebook avoir
été un homme battu, certaines personnes ont minimisé la chose ou
m'ont conseillé de simplement tourner la page,
que ce n'est pas grave, c'est la vie), c'est
précisément parce qu'il existe une non-reconnaissance généralisée
du « statut », du fait que dans de nombreux cas il n'y a
pas de symptômes physiques à relever. Comment prouver une
maltraitance lorsqu'il n'y a pas de traces ? Ou lorsqu'il y a
des traces, mais que le bourreau est du « sexe faible** » ?
(**entendons par là : dans la convention sociétale humaine, il
est jugé impossible qu'une femme puisse dominer un homme... à tort,
cela va de soi) En effet, les préjugés de notre société sont
solides, et les combattre ne mène malheureusement pas toujours à
une victoire.
La
violence de la femme contre l'homme s'établit généralement de
manière inverse à celle de l'homme envers la femme. Les études
menées sur le sujet ont démontré que l'homme agit d'abord par
violences physiques afin d'assujettir sa proie, pour ensuite la
ronger lentement par toutes les méthodes de dégradation mentale
citées précédemment. Tandis que la femme commencera d'abord par
dévaloriser son partenaire et le travailler psychologiquement avant
d'en venir aux coups à proprement parler. Sans doute pour compenser
une force physique qu'elle n'aurait pas sur son partenaire si
celui-ci n'était pas au préalable affaibli par une dépréciation
mentale et serait au meilleur de sa forme. Dans les deux cas, de
toute manière, les deux types de violence finissent par entrer en
jeu.
Comme
l'a très bien souligné AlainWM
sur son blog par rapport au tabou des hommes battus, blog que je vous
conseille vivement de parcourir, du reste :
http://psycho-ressources.com/blog/la-violence-faite-aux-hommes/
« L’homme
battu physiquement est un impensable social (1) : c’est
pourquoi nous avons tous de la difficulté à accepter cette réalité
pourtant de plus en plus documentée.
Imaginez
les scènes suivantes (2):
1. Vous êtes dans un endroit public et vous voyez une femme gifler un homme. Quelle sera votre première pensée ?
2. Toujours en public, vous apercevez un homme et une femme en train de se battre ? Qui défendrez-vous, si vous vous interposez ?
3. Vous appelez la police parce que vous entendez des hurlements dans l’appartement d’à côté. Qui croyez-vous que les policiers vont menotter et conduire en prison ?
4. Prenez le risque de dire autour de vous que votre amie ou votre femme vous bat et observez les réactions.
5. Dites autour de vous qu’il y a autant de femmes violentes que d’hommes violents.
6. Comment croyez-vous que les intervenants d’un CLSC vont réagir si un homme leur déclare qu’il est battu par sa femme depuis des années ?
7. Demandez autour de vous si les gens connaissent des hommes battus. »
1. Vous êtes dans un endroit public et vous voyez une femme gifler un homme. Quelle sera votre première pensée ?
2. Toujours en public, vous apercevez un homme et une femme en train de se battre ? Qui défendrez-vous, si vous vous interposez ?
3. Vous appelez la police parce que vous entendez des hurlements dans l’appartement d’à côté. Qui croyez-vous que les policiers vont menotter et conduire en prison ?
4. Prenez le risque de dire autour de vous que votre amie ou votre femme vous bat et observez les réactions.
5. Dites autour de vous qu’il y a autant de femmes violentes que d’hommes violents.
6. Comment croyez-vous que les intervenants d’un CLSC vont réagir si un homme leur déclare qu’il est battu par sa femme depuis des années ?
7. Demandez autour de vous si les gens connaissent des hommes battus. »
©
copyright 2010 Psycho-ressources
Dans
cet exposé, on trouve également ce dont je parlais il y a un
instant, à savoir les différents types de violences qui entrent en
jeu entre un bourreau et sa victime dans le champ conjugal, mais
aussi dans le champ sectaire religieux :
« La
travailleuse sociale suisse Sophie Torrent, dans son livre L’homme
battu, rapporte cinq types de violence :
1.
La violence physique :
Il s’agit d’une atteinte à l’intégrité corporelle. Elle
comprend l’ensemble des atteintes physiques au corps de l’autre.2.
La violence sexuelle : Elle
comprend l’atteinte ou la tentative d’atteinte à l’intégrité
sexuelle. Elle correspond au fait d’imposer son désir sexuel au
partenaire, d’influencer par la violence la relation sexuelle.3.
La violence psychologique : Il
s’agit de l’atteinte à l’intégrité psychique, toute action
qui porte atteinte ou essaie de porter atteinte à l’intégrité
psychique ou mentale de l’autre (son estime de soi, sa confiance en
soi et son identité personnelle).4.
La violence verbale : Elle
comprend le contenu des paroles et le mode de communication, parfois
révélateur de violence, qui consiste à humilier l’autre par des
messages de mépris, d’intimidation ou de menaces d’agression
physique. 5.
La violence économique : Elle
se traduit par le contrôle économique ou professionnel de
l’autre. »
Il
me paraissait intéressant, à l'occasion de ce texte, d'approfondir
les notions de violence conjugale et de sujétion, car le récit
autobiographique fictionnalisé de Nunzia Benedetti ouvre les portes
sur des dimensions qui dépassent de loin une simple brutalité
physique. Ce qui ressort du ton général et du portrait du
protagoniste, est cette oppression pulmonaire due à une raréfaction
de l'oxygène au sein du couple. Il faut être conscient que, pour
les personnes qui se trouvent dans ce cas de figure, tant pour les
femmes battues que pour les hommes battus, le quotidien se mine d'une
angoisse permanente, qui voudra que plus aucune joie de vivre ne
subsiste, et que chaque pas, chaque geste, chaque parole provoque une
contre-attaque immédiate et savamment étudiée de la part du
bourreau, de sorte que l'être battu se referme toujours davantage
sur lui-même, n'osant pas parler de sa situation, car prisonnier de
la peur mais aussi d'un regard dépréciateur que cette personne
battue porte au final sur elle-même. À
la honte de ne pouvoir se défendre, s'ajoute une honte relative au
contenu même des propos dépréciateurs du bourreau, qui finissent
par faire mouche (à force de faire croire à quelqu'un qu'il/elle ne
vaut rien, cette personne finira par croire qu'elle ne vaut
effectivement rien), et une honte vis-à-vis du regard que pourrait
porter le monde extérieur s'il venait à apprendre la vérité.
Parfois aussi, il faut encore surenchérir ce malaise par la honte
que la victime suscite auprès de ses proches en raison des remarques
désobligeantes faites ouvertement par son bourreau, lors des
réunions d'amis ou des dîners de famille. Le bourreau (très
souvent un pervers narcissique ; cfr. mon article sur la
perversité narcissique en corrélation avec le récit
autobiographique de Virginie Vanos),
est assez malin pour mettre tout le monde dans son camp, y compris
les amis et la famille de la victime, au point de leur faire dire :
heureusement que tu as rencontré cet homme (ou cette
femme) qui te tient sur les rails, sinon tu aurais sûrement mal
tourné ; tu as eu du bol, tu devrais te montrer plus
reconnaissant(e) de tout ce qu'il/elle fait pour toi.
Quand,
lorsqu'elle parvient à s'extraire pour de bon des mains de son
bourreau et à fuir loin de lui, si toutefois la victime a la chance
de survivre physiquement à ce bourreau, le combat n'est cependant
pas terminé, car l'attend une longue période de reconstruction.
Vivre sous un tel régime ne laisse personne indemne, et comme le
disait très bien Nunzia lors de notre conversation, c'est comme les
pièces d'un puzzle qu'il faut remettre ensemble, mais certaines
pièces sont abîmées irréversiblement.
Au
nom de ces pièces abîmées irréversiblement, plus qu'un droit
légal de parler, nous avons un devoir moral de parler.
L'importance
de parler de ce sujet ne doit pas se résumer à exposer des faits.
Comme nous l'avons dit, une honte térébrante habite ces victimes
qui sont écrouées dans une prison psychologique où la peur les
menotte et le désespoir les défigure. Par conséquent, beaucoup ne
parlent pas, subissent en silence, ou ne dévoilent la vérité
qu'après des années de mauvais traitements. Le fait de mettre cette
réalité en avant et de marteler les espaces publics et réseaux
sociaux de récits d'expériences similaires, permettra à ces
personnes de s'exprimer beaucoup plus tôt qu'elles ne le font
aujourd'hui... et permettra aussi d'éviter les événements extrêmes
qui peuvent découler de ce tourbillon malsain, à savoir le meurtre
ou le suicide. Car si certain(e)s parviennent un jour à s'en sortir
et à en témoigner, d'autres n'ont pas et ou n'auront pas (eu) cette
chance. Et c'est aussi à ces victimes passées et futures qu'il faut
penser.
Merci
de tout cœur, Nunzia Benedetti, pour avoir lancé ce débat à
travers ta nouvelle, débat qui n'est certes pas près de se
refermer. À travers cette
confession, où tu as pris le parti de faire parler le bourreau,
comme pour lui permettre de se justifier outre-tombe de ses actes, tu
as cerné le problème au-delà de ses apparences physiques et
« autopsiables ». Car c'est en regardant l'invisible que
l'on saisit la vraie teneur du mal.
Pour
terminer cette chronique, je reprendrais un extrait d'une
conversation que j'ai eu le bonheur d'avoir avec Nunzia Benedetti, où
nous partagions nos ressentis par rapport à nos vécus douloureux
respectifs.
Nunzia
Benedetti : « (...) si je lui donne la parole, c'est aussi
pour mettre en avant la mauvaise foi caractéristique des conjoints
violents ; mon ancien compagnon n'était pas aussi "simple"
que le personnage, mais c'est là un choix purement littéraire.
Daphnis
Olivier Boelens : Je te soutiens un maximum dans ta
reconstruction, et j'espère toujours que mes chroniques puissent
permettre aux victimes de toutes violences de se sentir soutenues.
Parce que c'est de ça dont on a besoin. J'ai personnellement
beaucoup de personnes qui m'ont soutenu et me soutiennent dans mon
propre combat contre les Témoins de Jéhovah de Tassin la Demi-Lune.
Sans eux, je me serai suicidé depuis des mois. On ne s'en sort pas
seuls, de ces épreuves.
Nunzia
Benedetti : « Oui tu as raison, l'écriture est ma force
et je reviens de très loin, j'ai galéré de la rue aux foyers de
femmes battues, aux hospitalisations qui cumulées se comptent en
années, j'ai tout perdu... mais j'ai aussi et surtout tout
reconstruit et réalisé mon seul rêve qui était d'être éditée.
Mon visage est marqué par des cicatrices... donc je n'oublie jamais
plus que le temps d'une nuit de songe, d'où je reviens et ce que
j'ai accompli. Mais on peut s'en sortir, j'en suis la preuve vivante.
Daphnis
Olivier Boelens : « Tu as en effet vécu des choses
terribles. Je balancerais ma main dans la gueule de ceux qui
formulent bourgeoisement leur sempiternel "en même temps, ça
forge le caractère et la personnalité". Mais force est
d'admettre que ces cons n'ont pas complètement tort... en ce sens
qu'on n'est plus pareil après avoir vécu un viol, quel qu'il soit.
À la fois on est plus aguerri, à la fois on est plus fragilisé,
mais surtout on a développé un sens du discernement bien au-dessus
de la moyenne. Parce qu'on ne laissera jamais personne rouvrir une
cicatrice. Bien sûr, il y aura dans la vie d'autres plaies d'autres
sortes, mais plus celles que l'on porte déjà cicatrisées sur la
figure ou dans le cœur. Je suis content et admiratif que tu t'en
sois sortie. Beaucoup ne s'en sortent malheureusement pas. »
Tu
es, chère Nunzia, pour reprendre ce terme emprunté par la langue de
Molière à celle de Shakespeare, d'une grande fortitude.
Ton
expérience nous montre que les pires situations peuvent se terminer,
offrir une échappée, délivrer une issue favorable. Tu prouves
qu'on peut s'en sortir, même s'il faut déployer une énergie
colossale, venue d'on-ne-sait-où au fond de soi, parfois même alors
qu'on est à l'agonie psychologique (en ce sens, l'instinct de survie
est phénoménal), mais qui permet de nous sauver la vie, d'être
notre propre bouée de secours quand personne ne se présente pour
nous tendre la main. Tant que la Loi ne sera pas là pour obliger les
gens qui commettent le mal à RÉPARER
LEURS ERREURS (car en certaines situations, de toute évidence, des
excuses verbales ne suffisent pas), au-delà de subir une peine
judiciaire, nous serons contraints d'apprendre à nous défendre
seuls et à réparer nous-mêmes les erreurs des autres.
Quand
on a, comme toi, connu une situation extrême et traumatisante, on
n'appréhende plus les choses de la même façon. Ce qui détruit
quelque chose en nous, si tant est que cela ne nous ravage pas au
point de non-retour, construit quelque chose d'autre à la place, d'à
la fois plus solide et plus fragile.
Pour
ne pas me répéter : à ceux qui prétendent que tout ne dépend
que de soi et de son propre mental, je répondrai avec humilité
(qualité dont ces gens-là manquent cruellement) que nous sommes
constamment soumis à des situations, des cas de figure, des
agressions qui ne relèvent pas de choix personnels mais du jeu
aléatoire des rencontres qui jalonnent notre piste de décollage et
qui constituent ce que l'on appelle le destin. Nous passons sans
doute plus de temps à nous reconstruire que nous n'en passons à
nous construire. Les raisons pour lesquelles ce destin met sur notre
route des personnes qui ne sont vouées qu'à nous causer du tort
demeurent mystérieuses. Cependant, lorsque l'on rencontre quelqu'un
comme toi, Nunzia, qui as eu la force et la capacité de te relever,
et qui as eu le courage de témoigner, il me parait essentiel de
faire circuler ce témoignage, d'une part pour saluer ton courage,
d'autre part pour fournir des pistes à d'autres personnes qui se
retrouveraient dans la même conjoncture que toi. Car les souffrances
que l'on a vécues ne nous servent pas uniquement à nous-mêmes,
mais peuvent aussi servir aux autres.
Daphnis
Olivier Boelens, 18 mai 2014
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Interview
de Nunzia Benedetti
par Daphnis Olivier Boelens
(mai
2014) :
Daphnis
Boelens : Bonjour Nunzia. Quelle est la chose la plus térébrante
qu'il te reste aujourd'hui de cette page sombre de ta vie ?
Nunzia
Benedetti : Plus
de dix après, je fais toujours des cauchemars récurrents, je revis
des scènes qui semblent tellement réelles que je m’éveille en
sursaut. Je touche alors mes cicatrices au visage comme pour vérifier
s'il m’a vraiment fait ça... et oui, j’ai vraiment vécu ça !
C’est horrible !
D.B. :
N'as-tu pas senti venir la chose ? Qu'est-ce qui a fait que tu
n'as pas pu réagir à temps et mettre un terme à la relation avant
qu'elle ne dégénère à tel point ? De quelle manière se
manifeste la manipulation du bourreau au départ ? Et enfin,
qu'est-ce qui t'a plu en lui lorsque tu l'as rencontré, qu'est-ce
qui t'a séduite et qui a provoqué cette cécité propre à masquer
le côté obscur et violent de sa personnalité ?
N.B. :
Non, je n’ai
rien vu venir, il a perdu son travail, il s’est mis à boire et il
est devenu de plus en plus violent. Je n’ai pas pu réagir parce
qu’il ne me laissait jamais sortir seule, il me suivait partout. Au
début je me suis rebellée, je l’ai payé très cher. La
manipulation se fait lentement, à long terme, il m’a dévalorisée
lentement, jour après jour, c’est de la torture psychologique.
J’étais fragile, il m’a psychiquement démantelée. Quand je
l’ai rencontré, c’était un homme solide, rassurant, bon
travailleur, bon frère, bon fils. Il était tolérant, agréable,
toujours de bonne humeur !
D.B. :
Qu'est-ce qui a fait qu'à un moment donné tu as décidé que tu
n'en pouvais plus de cette situation, et qu'il fallait y mettre un
terme ? T'es-tu enfuie alors qu'il s'était absenté ? Ou
l'homme a-t-il été dénoncé et arrêté ? Ou as-tu dû être
hospitalisée une fois encore en raison des coups et blessures et les
forces de l'ordre sont-elles conséquemment intervenues ?
N.B. :
Un jour chez des
amis, il buvait trop, je lui ai fait la remarque, il m’a lancé une
cigarette allumée au visage et la cigarette est tombé sur ma fille
(qui n’est pas la sienne). Je me suis enfuie avec la petite, il m’a
coursée, rattrapée, les amis sont arrivés, ils ont décidé de me
ramener chez moi et de le garder avec eux. En partant dans la
voiture, je l’ai vu faire le signe qu’il allait m’égorger.
J’ai pris quelque affaires et je suis partie chez une amie. Je suis
allée porter plainte, les gendarmes l’ont convoqué, deux heures
après il était sorti, il a tenté de m’étrangler. Je suis allée
à l’hôpital pour plusieurs mois, ma fille a été placée, lui
n’a pas été inquiété. C’était une petite ville. J’ai
appris plus tard que le gendarme qui m’avait reçu battait sa
femme !
D.B. :
Cet homme qui t'a tant fait souffrir, est-il encore en vie ?
Est-il en liberté ? As-tu des nouvelles de lui ? Je veux
dire : des nouvelles pour t'assurer qu'il se tient à carreau et
ne cherche pas à se venger ?
N.B. :
J’ai passé des
années à le fuir, j’ai déménagé sept fois, je suis allée en
foyer pour femmes battues, il me retrouvait toujours. Un jour il a
rencontré une autre femme et depuis je n’ai plus entendu parler de
lui.
D.B. :
Quand tu étais dans cette situation douloureuse, n'y a-t-il jamais
eu personne d'assez audacieux pour intervenir, prendre ta défense et
te sortir de là ? Ou tout le monde se taisait-il par peur ?
Les gens autour de toi se rendaient-ils compte que quelque chose ne
tournait pas rond dans votre couple ? Ou ton compagnon
faisait-il en sorte que ça ne se remarque pas ? Te
séquestrait-il ? Te coupait-il de tout contact avec
l'extérieur ?
N.B. :
Personne n’est
jamais intervenu de mes voisins, les gens avaient peur. Ma famille a
posé des questions et j’ai menti, jurant que tout allait bien,
j’avais peur et j’avais honte. Avant de commencer à me frapper,
il m’avait éloigné de tous mes amis et il m’avait fait perdre
mon travail.
D.B. :
Que dirais-tu à quelqu'un qui serait en train de vivre une situation
semblable et qui te confierait son désarroi ? Quelle formule
utiliserais-tu pour lui ouvrir les yeux et l'encourager à mettre un
terme à son enfer ?
N.B. :
Je lui dirais de
partir tout de suite, que ce n’est pas de l’amour. Je lui dirais
qu’il vaut mieux tout perdre, maison, voiture, emploi, que de
perdre la vie, parce que c’est ça qui est en jeu, la vie !
Mon ex a tenté de me tuer plusieurs fois. Je lui dirais de prendre
ses enfants s'il y en a et de partir sans se retourner. On croit
qu’il ne nous laissera jamais tranquille, mais au bout d’un
moment il trouve une autres victime. Il n’y a que deux issues :
soit on part, soit il nous tue. Il faut partir.
D.B. :
Merci encore, Nunzia, pour ce témoignage des plus instructifs, des
plus poignants... et des plus nécessaires.
FIN
DE L'INTERVIEW
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