Comme
je l'avais annoncé sur facebook le 24 mai 2014 à 11h17: voici la
chronique du nouveau livre de Virginie Vanos. Un essai sociologique
cinglant, ironique mais lucide sur la notion de conformisme humain,
et une démonstration par A+B des dangers de l'adhésion "caméléonne"
au chaos ordonné d'une société "sauvagement bourgeoise"
ou "bourgeoisement sauvage".
VIRGINIE VANOS :
« LES SOUS-TECKELS ou 45 BONNES RAISONS DE CRAINDRE LA MASSE SILENCIEUSE »
SE CALIBRER OU SE FLINGUER
– une chronique de Daphnis Olivier Boelens (juin 2014) –
Procès du conformisme, éloge de la différence
Procès du robotisme à visage humain, éloge de la poésie
Procès de l'inconsistance volubile, éloge du silence introspectif
Procès de l'addiction sociétale, éloge de la liberté du cœur d'enfant
Procès de la critique gratuite, éloge d'une autocritique payante
Procès du vernis à ongles, éloge de la carnation naturelle
Autant de procès, autant d'éloges. Tel est le noyau binaire de l'essai sociologique signé Virginie Vanos.
Avec un ton mordant et fort de dérision bien à elle, que l'on retrouvait déjà dans
son récit autobiographique « Battue ! », Virginie Vanos dissèque
allègrement les mécanismes humains qui régissent le concept très
hermétique de « société » et qui, par un congrégationnisme arbitraire,
œuvre à tous les étages de la psychologie, jusqu'à affecter les
spécificités, les aspirations et les valeurs les plus sacrées d'un
individu. On a déjà tant débattu de ce hiatus qui sépare l'« être » et
le « paraître », de l'inconciliable joute qui oppose le
« savoir » et le « croire », ou encore du lien conventionnel établi
entre le « droit » et le « devoir ». Mais le débat ne porte-t-il pas
surtout sur la méconnaissance des potentiels intrinsèques à l'espèce
humaine, sur le plan créatif notamment, pulvérisés par une
uniformisation stérilisante encouragée par les pouvoirs publics dans une
visée d'abrutissement des masses afin de les rendre purement et
simplement inoffensives et aisément domptables ?
L'interrogation
qui émerge de ce raisonnement est la suivante : est-on né pour imiter,
s'adapter, s'intégrer, se désingulariser, ou au contraire pour inventer,
réinventer, faire vibrer, et surtout être soi dans toute notre
dissemblance ? La question est-elle seulement posée ? Car Virginie Vanos
démontre bien dans son ouvrage que la constatation la plus consternante
n'est pas le fait que beaucoup ne trouvent pas la réponse, mais le fait
que beaucoup ne se posent même pas la question, parce qu'ils ont été
formatés pour ne pas se poser ce genre de points d'interrogation à
vocation « épiphanique ». « Suivre » est la sagesse du fou. Mais dans
certains cas, « contester » est la folie du sage.
Dans le fond, au-delà des notions de préjugé, de perversité grégaire, d'ostracisme,
de dévalorisation des facultés et de valorisation de l'ignorance, tout
le problème se résume à une histoire de peur. Celle d'être unique et
rejeté car incompris ou jugé fantasque voire dangereux (dans certains
pays, le dissident risque un séjour en prison ou la peine capitale).
Celle de perdre ses acquis communautaires, ses prérogatives au sein de
la collectivité, sa pseudo-respectabilité, ou encore son poste, sa
fonction au sein d'une société quelle qu'elle soit (économique,
politique, religieuse...). Celle de ne plus trouver sa place dans cet
immense magma d'aujourd'hui huit milliards d'habitants qui peine à
encore trouver ses repères et se fond avec la suavité d'un cadavre en
décomposition dans cette uniformisation censée rassurer mais qui a pour
effet antipodal d'engendrer les pires névroses et les plus étouffantes
contraintes dont celle de jouer à être ce que l'on n'est pas à défaut de
s'accepter dans toute sa diversité et sa complémentarité. Quand le
« paraître » est de mise, l'« être » est démis.
Dans
cet ordre d'idées, par exemple (Virginie Vanos le souligne très bien
dans un chapitre spécifiquement réservé à la notion de « couple »),
beaucoup de gens ne conçoivent plus une union sentimentale basée sur la
complémentarité mais uniquement sur la similarité, la ressemblance
absolue. Ce qui génère ce que moi-même j'appellerais le « syndrome du
reflet dans le miroir », à savoir cette subconsciente aspiration à
l'incarnation d'une adéquation parfaite... très imparfaite cependant,
dans la mesure où elle nous reflète, mais ne nous permet plus la moindre
communication ; elle nous coupe du monde et nous emprisonne dans un
carcan à la fois auto-idolâtre et misanthropique. Car rien n'est pire
que de dialoguer avec soi-même : cela s'appelle, en effet, un soliloque.
Y a-t-il seulement langage plus improductif et plus figé que celui du
soliloque ? On n'écoute plus lorsqu'on s'écoute.
Cette
notion de « complémentarité » fait indubitablement défaut à
l'« éducation », cette discipline consensuelle dispensée à la jeunesse,
catégorie de la population des plus influençables, spécialement par les
mouvements de masses et par la pensée collective car un jeune se cherche
et quiert une place
dans ce monde où on lui répète qu'adulte il va devoir participer
activement à son bon fonctionnement. Dès le plus jeune âge, on
familiarise l'enfant à des « normes bétonnées » : règles sociétales,
hiérarchiques, éthiques, économiques et sexuelles. Normes éminemment
bourgeoises (quand elles ne trouvent pas leur source dans la religion).
But ultime de cette constitution au sein de la Constitution : ne pas
heurter la sensibilité préétablie, ne pas amener la population à se
poser des questions qui pourraient apporter un vent de changement dans
les conceptions rigides établies à des fins de « santé mentale » et
d'ordre politique/policier. Tout ce qui risque d'ébranler le dogme
tacite (car toutes ces règles ne seront jamais formulées explicitement,
mais seront suggérées et appliquées sournoisement ; elles seront même
niées si la question est posée de manière trop explicite : combien de
fois n'a-t-on pas entendu autour de nous de petites phrases telles que
« non, ça m'est égal, chacun pense comme il veut, on est en démocratie »),
tout schisme et toute remise en question seront résorbés dans un
système de harcèlement moral savamment mené afin de réprimer l'individu
réfractaire et de le « raisonner ». Il convient de punir et recadrer
celui qui, en société, n'accepte pas les décrets, modèles et
prescriptions de la collectivité, de la même façon que l'on châtie les
mécréants et toute personne susceptible de défier les canons religieux
dans un cadre sectaire de petite ou même de grande envergure.
Un
des exemples les plus révélateurs de ces normes est cette distinction –
draconienne et « joyeusement » adoptée – que l'on opère entre les
garçons et les filles. Un bébé garçon doit être habillé en bleu, un bébé
fille en rose. Un garçon devra s'intéresser aux voitures, au football,
aux figurines de superhéros et aux jeux vidéos violents ; une fille
devra cultiver une attraction pour les poupées, le jeu de la marelle, le
maquillage et les dessins animés romantiques. Si l'un des deux déroge à
cette « loi divine made in planet earth »,
il sera forcément soupçonné d'homosexualité, d'attardement mental, ou
d'anarchisme précoce (tout cela pour paraphraser le qualificatif
d'« hérétique » qui, lui, est quelque peu sorti du langage courant du
21ème siècle). Pain béni pour les psychologues et autres acteurs de ces
« écoles de standardisation », qui s'empresseront de recourir à une
cascade de concepts psychiatriques classificateurs, et à une
impressionnante pharmacopée pour ré-aspirer l'outsider
sur le droit chemin, tel un pasteur ramenant une brebis égarée sur la
voie du Seigneur Tout-Puissant. Sauf que le Dieu de l'arasement et la
dépersonnalisation, n'a rien d'associable aux notions d'« amour » et de
« bienveillance » qu'on Lui prête par ces formules habituelles et tant
entendues : c'est pour ton bien, tu me remercieras quand tu seras grand(e).
Bien
entendu (et Virginie Vanos le mentionne avec beaucoup de tact et de
compréhension dans sa conclusion), c'est un choix de la part des
parents, comme c'est, adulte, un choix de la part de soi-même : suivre
le troupeau, devenir moutonnier, ou s'en écarter pour revendiquer ses
propres spécificités et apprendre à dire « non, je refuse
catégoriquement ! » ou « non, je vais initier une nouvelle ère ». Il est
même difficile de condamner quelqu'un qui choisirait la norme, car la
contredire signifie beaucoup de souffrances et de coups bas à encaisser,
et une grande solitude à la clef, par conséquent la nécessité d'une
gigantesque force morale pour tenir tête en « poor lonesome cowboy » à
une assemblée qui compte autant de têtes de pipe qu'une urne funéraire
compte de cendres. Il n'est pas donné à tout le monde de vivre selon ses
propres idéaux, us et coutumes, selon sa propre éthique, ses propres
désirs et sa propre hiérarchie relationnelle... mais si tous
choisissaient cette voie plus personnelle, nous obtiendrions le monde le
plus riche possible, car le monde le plus diversifié qui soit.
Pour
en revenir à cette distinction entre filles et garçons – et ce pour
souligner que se taire et l'accepter aveuglément n'est pas une attitude
sage et raisonnable –, je ne peux pas ne pas mentionner l'anecdote de
cette fille du nom d'Antonia Ayers-Brown qui, aux USA, alors qu'elle
n'avait que 11 ans, a attaqué (en 2008) la chaîne de fast-food
McDonald's pour attribuer systématiquement les jouets « de filles » aux
filles, et les jouets « de garçons » aux garçons. Elle a, plus exactement, « déposé une plainte auprès de la Commission des droits et des chances du Connecticut contre McDonald's pour discrimination fondée sur le sexe. »
Essuyant une première réponse indifférente de la part de la chaîne de
prêts-à-manger américains et un avis mitigé de la part des instances
juridiques, la jeune fille et son père réalisent alors un test avec
d'autres enfants dans une trentaine de McDonald's : la conclusion fut
que les enfants recevaient automatiquement le jouet correspondant à leur
sexe dans 92,9% des cas. Plus fort encore, dans 42,8% des cas, la
demande de l'enfant d'obtenir le jouet du sexe opposé fut strictement
refusée. Suite à ce test, au lieu de déposer une nouvelle plainte, la
jeune fille écrit une nouvelle lettre à la direction de McDonald's...
qui cette fois lui donne gain de cause et s'engage à ce que chaque
enfant puisse recevoir le jouet qu'il désire sans distinction de sexe.
Dans
un McDonald's favorable à cette non-distinction de genre, on pourra
d'ailleurs aviser cette affiche collée au mur, stipulant les nouvelles
consignes à respecter pour les employés :
http://www.terrafemina.com/societe/international/articles/42673-etats-unis-une-adolescente-attaque-mcdonalds-contre-les-jouets-genres-et-gagne.html
Traduction :
Quand un client commande un Happy Meal, il convient désormais de lui
demander « Désirez-vous un jouet Mon Petit Poney ou un jouet
Skylander ? » Nous ne nous référerons plus à ces jouets en termes de
« jouet de fille » ou de « jouet de garçon ». Les managers assureront
l'application de ces nouvelles consignes à respecter lors de la prise de
commande. Merci pour votre patience et pour votre compréhension. Merci à
vous. Lorena
Tout
ceci pour dire que la lutte des barrières sexuelles est loin d'être
terminée à ce jour, et que les « sous-teckels » pointés du doigt par
Virginie Vanos dans son ouvrage, qui se soumettent servilement à cette
distinction despotique et à tous les paramètres afférents, feraient bien
d'en prendre de la graine, question de ne pas paraître ringards.
De
fait, ne peut-on concevoir qu'un petit garçon puisse aimer jouer avec
une poupée, ou qu'une petite fille aime s'amuser avec une petite
voiture ? Cela heurte, de toute évidence, un conglomérat bien-pensant
éminemment bourgeois qui régit des normes sur base de la peur du
persiflage, de la mise à l'écart, ou tout simplement de la confrontation
avec la pire question que l'on puisse lui poser, à savoir : pourquoi ne fais-tu pas comme les autres ? Pourquoi veux-tu être différent ? Pire : es-tu si prétentieux ou si malheureux pour vouloir être différent ? Et ce avec le conseil suprême qui suit de manière inéluctable : si tu veux, je connais un très bon psy qui pourra t'aider...
Lorsque l'éclat de rébellion se produit à un âge plus avancé, il n'est
pas rare de noter des extensions à cette première formule
condescendante, telles que : tu verras, après tu te sentiras
beaucoup mieux... tu passes seulement par un mauvais moment, tu n'as
sans doute pas fait ta crise d'adolescence à l'âge adéquat ou encore : tu redeviendras toi-même, parce que là je ne te reconnais plus !
Au
secours, à l'aide !!! Mais attention, pas n'importe quelle aide. Celle
de gens capables de comprendre, plutôt que de gens qui affirment mieux
vous cerner que vous ne vous cernez vous-mêmes et qui se proposent
gracieusement de vous reformater afin que vous puissiez mieux
correspondre à ce que la société attend de vous. Sois un bon chienchien et t'auras un beau nonos. Sois un bon pratiquant et tu iras au paradis.
Dès
cet instant, comme dans tout tribunal, tout ce que vous direz pourra se
retourner contre vous... et sera, au besoin, déformé de façon à pouvoir
être retourné contre vous !!! La moindre affirmation qui déviera de la
pensée communément admise sera placée sur le compte de cette pseudo
« crise d'adolescence différée » que vous êtes en train de vivre, et
votre crédibilité sera synonyme de « valeur boursière en chute libre ».
En d'autres termes : votre « moi » sera en faillite. Car l'exception est
seule, et n'a pour avocat que sa propre logique, sa propre sincérité,
et ses compères marginaux tout aussi « condamnables ». Le jury est
rarement du même bord, et la Cour de « Justice » s'avère une
reproduction adulte de la cour d'école, avec ses schémas claniques, ses
injustices innombrables, et ses hauts grillages que l'on ne peut
franchir sous peine d'être « collé ».
Pour
se fondre dans la masse et ne pas risquer les brimades, les
sournoiseries ou le rôle peu enviable et traumatisant de bouc émissaire,
il convient de s'abstenir de toute fantaisie, de toute divergence, de
toute singularité. Pour éviter de figurer sur le banc des accusés, il
faut nécessairement faire partie des accusateurs, des membres de la Cour
ou du jury. Toute neutralité sera considérée comme un transfuge et
sanctionnée d'un régime comparable à celui du marginal incriminé. Aimer
le football sera plus passe-partout que d'être un virtuose du violon,
manger du fast-food sera considéré comme plus « cool » et moins
« pédéraste » que de se nourrir d'aliments sains, et enfin parler avec
le langage de monsieur-tout-le-monde vous vaudra plus de considération
que viser une connaissance plus pointue et plus élégante de votre langue
maternelle. Une « meuf », ce sera toujours plus vendeur qu'une
« femme ». Un exemple parmi d'autres...
Tous ces traits, comme le sous-entend l'essai de Virginie Vanos, nous conduisent à cette notion terrible d'aliénation. Que faut-il comprendre par ce vocable ? Il ne s'agit pas seulement de la soumission de l'individu
à une politique psychologique, mais surtout de l'inféodation de
celui-ci à un état d'esprit régressif, propre à le mener à sa propre
destruction mentale, par l'insufflation permanente de préjugés,
doctrines et ostracismes rétrogrades et misanthropiques. L'opération
d'« épuration » se réalise la plupart du temps dans le cadre familial,
et démarre dès le plus jeune âge pour s'assurer que la « bonne façon de
penser » ne sera pas qu'une connaissance théorique mais deviendra une
seconde nature pour la personne qui y est exposée, assez puissante pour
évincer ses goûts et penchants naturels et innés.
Il
faut bien comprendre que toutes les formes de racisme, toutes les
sectes, tous les esclavagismes, sont nés de ce système d'éthique
sociétale que Virginie Vanos désigne sous le terme de
« sous-teckelisme ». La dangerosité d'une éducation aussi exiguë et
imposante s'est brillamment illustrée (pour ne citer que cet exemple le
plus notoire) par l'avènement du 3ème Reich. Ce qui peut paraître anodin
dans cette ségrégation bourgeoise, est en vérité redoutable dans la
mesure où elle se camoufle derrière des faits qui, pris isolément,
n'inspirent pas l'horreur, voire porteraient à sourire. Mais cette
sournoiserie en filigrane s'avère assez féroce pour pousser un individu
fragile... au suicide ou au meurtre !
Oui,
ce sont ces masses silencieuses qui vont enfiler une tenue de supporter
aux couleurs flashantes et se peinturlurer la tronche aux couleurs du
drapeau national en temps de Mundial footballistique pour gueuler à
gorge déployée l'hymne de l'équipe nationale (ou celui de l'équipe
adverse si c'est elle qui gagne), qui vont s'afficher sur internet en
train de se bourrer la gueule, de montrer leurs fesses ou entouré(e)s de
sex bombs, qui vont aller serrer la main à un homme politique de
passage (même si elles soutiennent le parti de l'opposition) et demander
un autographe à un écrivain dont elles n'ont jamais lu un seul livre
mais dont elles ont « beaucoup entendu parler et même en bien »...
Rien
de dangereux ou de fondamentalement méprisable dans ces « actes
infantiles », direz-vous. Certes. Mais sachez que ce sont ces mêmes
« masses silencieuses » ou « sous-teckels » qui, en temps de guerre,
dénonceront leur voisin, se mettront à torturer un « ennemi désigné »
sous les ordres d'un gouverneur sadique, tueront femmes et enfants sans
le moindre cas de conscience, en affirmant se contenter d'« obéir aux
ordres » en « tout bon citoyen ». Ce sont ces « masses silencieuses » de
« sous-teckels » qui voteront extrême-droite en cachette tout en
clamant sur tous les toits soutenir le parti écolo, qui affirmeront
n'avoir rien contre les homosexuels ou les étrangers, mais qui
persécuteront leurs enfants s'ils ont le malheur d'être « pédé/gouine »
ou de se mettre en couple avec un(e) « négro/négresse », qui iront
manifester contre la maltraitance sur les animaux mais sans se soucier
un seul instant de l'origine de la viande qui fume dans leur assiette,
qui critiqueront la corruption au sein des gouvernements et les
magouilles boursières sans toutefois cracher sur une petite fraude
fiscale ou une petite arnaque via internet en passant, histoire
d'arrondir leurs fins de mois, qui critiqueront leur collègue de bureau
pour avoir une maîtresse/un amant mais qui, à la première occasion,
sautent eux-mêmes tête la première dans la plumard de l'adultère... and so on.
Il
faut du courage, de la détermination et du caractère pour s'imposer
dans sa « discordance » à cette caste si répandue à l'échelle mondiale,
celle des foules embobinées par des protocoles non-dits. Certes, les
régimes totalitaires qui s'affichent au grand jour ne sont pas
préférables. Mais la différence entre cette « petite bourgeoisie » et
les « extrémistes de tous bords », serait un peu semblable à la
différence entre une capsule de cyanure qui terrasse un homme en une
minute, et une pincée d'arsenic qui le tuerait à petit feu pendant des
semaines et des mois. Les deux substances tuent, mais chacune à son
rythme et à sa manière.
Le
livre de Virginie Vanos décortique les raisonnements et failles de
cette petite bourgeoisie « sous-teckelienne », mise en scène dans toutes
les situations du quotidien, et à tous les étages de la vie en société.
Tous les domaines s'y voient abordés : politique, religion, éducation,
famille, alimentation, art, culture, travail, sexualité, drogue...
L'auteure ne mâche pas ses mots et ne dissimule pas son mépris pour
l'hypocrisie et la violence psychologique qui accompagnent ces
comportements convenus pour entrer dans la « norme » respectable et
dominante. Sa position a le mérite d'être claire et assumée, sans
pirouettes de désengagement ou de nuances artificieuses. Plus qu'une
gifle, ce qu'elle nous livre est un coup de poing, et il frappe
précisément là où ça fait le plus mal.
Ce
cadre « petit bourgeois », disserté avec exhaustivité dans le livre de
Virginie Vanos, se veut décontracté, à la mode (que ce soit une mode ou
son contraire, le « sous-teckel » s'y pliera avec le même sourire et non
avec le soupir ; après tout, ce qui compte c'est le regard extérieur et
non pas son regard propre), se juge comme un aboutissement naturel et
mâture de l'évolution des mentalités sur des millénaires, mais traduit, à
l'opposé de tout progrès, une extrême rigidité oculaire, une absence
d'empathie et une carence en profondeur. En pareil contexte, un créateur
(forme la plus « extraterrestre » qui ait jamais été recensée au sein
de l'espèce humaine, du moins aux yeux des « sous-teckels ») ne peut
trouver sa place et se verra automatiquement relégué à cette formule
empreinte de dédain et de jalousie : « Lui, c'est un artiste ! » (à lire en mettant un accent d'amertume sur le terme d'artiste).
Il
existe cependant des spécimens qui se disent artistes parmi les
sous-teckels, mais ceux-ci conçoivent l'art comme une aptitude
accessible à n'importe qui en un temps record grâce à des formations que
l'on peut trouver dans les petites annonces et payables par modules (L'art
est un don, un plus que l'on possède en soi depuis la naissance,
l'expression d'un génie ? Nan, déconne pas, être artiste ça s'apprend, y
a des cours pour ça, et c'est même pas cher, t'as une réduction si t'es
au chômage ou au CPAS !), voire « exerçable » (pardon pour le néologisme pourri)
sans aucun apprentissage et aucune culture nécessaires. Ainsi,
j'associerais à ces pseudos-artistes 99,99% des peintres abstraits, des
écrivains auto-publiés et chanteurs auto-produits, des cinéastes
téléfilmiques (parmi lesquels il existe bien entendu des exceptions...
et lorsque exception il y a, on se trouve alors souvent face à des
artistes et des œuvres grandioses, bien plus originales que les
productions contemporaines « main stream », qui influencent jusqu'à la
culture d'un pays tout entier et produisent des mouvements artistiques
mondiaux... mais à mes yeux, c'est de l'ordre du 0,01%, le reste est
tout juste bon à décorer les cuisines ou à occuper les écrans de
télévision aux heures de grande écoute, ces fameuses heures où les gens
veulent se détendre car lobotomisés par une journée harassante de
travail, et où ils ne sont plus à même de mener une réflexion ou un
débat sur quelque sujet que ce soit). Comment trouver sa place en tant
qu'artiste authentique dans un contexte aussi peu perméable à
l'originalité, aussi réticent à cette force qui fait de l'art un acte
destiné à amener de la nouveauté, à révolutionner les choses plutôt qu'à
singer ce que le public est désireux de consommer ? Comment échapper à
la production de pré-mâché quand on naît dans un milieu dit
« sous-teckelien » ? Pourtant, force est de constater que la magie de la
génétique a fait naître des génies incomparables au sein de milieux
austères, ignorants et prisonniers de normes infécondes.
Questions
et réponses à méditer, que tout cela. En conclusion, quelle que soit
votre discipline, votre cadre professionnel ou hiérarchique, votre
milieu social, votre conviction religieuse ou votre tendance politique,
je dirais ceci : attention, les ST (« sous-teckels ») sont parmi nous !
Nous sommes prévenus. Merci, Virginie, pour cette conscientisation.
Restons donc vigilants. Et surtout, restons nous-mêmes, aussi
hors-normes puissions-nous être.
Daphnis Olivier Boelens, 14 juin 2014