« MADAME
LA MINISTRE »
mise en
scène de Frédéric Gibilaro
avec
Bambina Liberatore, Magali Genicq, Sylvie Suzor, Romain Barbieux
scénographie
: Serge Helholc
Création
Lumière : Laeticia Rasschaert
Costumes :
Hélène Mahillon et Elodie Pulinckx
Un
spectacle à voir ABSOLUMENT en ce moment à l’XL-Théâtre
(Théâtre du Grand-Midi), mis en scène par un Frédéric Gibilaro
au meilleur de sa forme. À partir d’un texte relativement complexe
qui, tel un roman de Duras que l’on aurait adapté pour la scène
ou pour le cinéma, gagnerait à être lu sur papier pour en saisir
toutes les subtilités, Frédéric Gibilaro réussit à créer une
mise en scène dynamique, colorée, fraîche et dénuée de temps
morts. C’est non sans une bonne dose d’humour haut-de-forme
que nous nous voyons embarqués dans un véritable ballet de
manigances où le non-dit s’arrose à grands coups de rhum et de
pirouettes moldaves.
La
scénographie, par ses confections en patchwork (un patchwork qui se
retrouve jusque sur les verres et bouteilles accessoirisés), reflète
parfaitement le rassemblement de personnages hétéroclites qui
défilent sur scène. Mention spéciale pour ce décor très économe
mais conçu intelligemment, qui épouse l’extravagance pittoresque
des personnages tout en restant dans la sobriété. C’est sans
doute cela aussi, la grande réussite de ce spectacle : parler
d’excès sans tomber dans l’excès. De même, traiter de thèmes
sérieux en les confondant par une malice qui pétille comme un
champagne de ses innombrables bulles. L’insertion de génériques
de célèbres séries télévisées des années 80, de manière tout
à fait anachronique, tend à farcir la fiction de fiction, comme en
un set de poupées russes, où chaque porte s’ouvre sur une
nouvelle porte.
À
ce propos, les portes, ici en tissu (choix judicieux), ne se ferment
ni ne s’ouvrent jamais vraiment, ne retiennent aucune incursion
extérieure, ni ne donnent accès au for intérieur des personnages,
mais traduisent lucidement le proverbe qui affirme que « les
murs ont des oreilles », et ce dans un climat de cabale où
l’on écoute davantage aux portes qu’on ne prête une oreille
attentive à son interlocuteur de visu. Jeu de tromperies et de
dissimulations.
Dans
un rythme ininterrompu, les règlements de comptes succèdent aux
méditations ironiques, de sorte qu’on ne décroche jamais de la
pièce, en dépit du texte parfois ardu. Mais au-delà de toutes ces
qualités, ce qui porte cette pièce, ce sont plus que jamais les
comédiens. Ils sont quatre : trois femmes et un homme. Romain
Barbieux, élégant et inquiétant, qui en jette par son regard gorgé
d’une ironie sombrement délicieuse. Bambina Liberatore, endossant
une noblesse dévoyée (pléonasme ?) qui tantôt se galvanise
tantôt s’ébrèche. Magali Genicq qui habite physiquement la scène
avec brio, dont le corps valse et papillonne, et dont la verve nous
capture tel un lasso. Enfin, et non des moindres, la phénoménale
Sylvie Suzor, dont le naturel se joue de la caricature de la servante
niaise, pour façonner, au contraire, le portrait d’une soubrette
au parfum exquis d’opportunisme piquant. En bref, un quatuor digne
d’un palais royal où les chambres de bonnes ont autant
d’importance que les boudoirs satinés.
Notons
aussi le beau travail sur les costumes, qui vient parfaire
l’ensemble. Tout est juste, tout est pensé jusque dans ses
moindres coutures, et on jouit du spectacle de bout en bout.
En
résumé, une très très belle réussite à tous les niveaux pour
cette pièce inédite, qui a certainement de beaux jours devant elle.
Gageons que très bientôt, Madame
la Ministre
partira en tournée électorale.
Daphnis
Boelens, écrivain-scénariste... et, hic
et nunc,
spectateur
comblé ! (9 mai 2012)
http://www.ipulcini.be/?p=464#more-464